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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


provoque le Stagirite à développer les réflexions suivantes[1] :

« On se demandera, puisque le centre de l’Univers et le centre de la terre coïncident, vers lequel de ces deux centres se portent naturellement tous les graves et les parties mêmes de la terre. Se portent-ils vers ce point parce qu’il est le centre de l’Univers ou parce qu’il est le centre de la terre ? C’est vers le centre de l’Univers qu’ils se portent nécessairement… Mais il arrive que la terre a même centre que l’Univers. Dès lors, les graves se portent au centre de la terre, mais cela par accident et parce que la terre a son centre au centre de l’Univers… C’est pourquoi ils se portent au centre commun de la terre et de l’Univers…

» Voici un autre doute qui peut se résoudre de la même manière : Supposons que la terre soit sphérique et qu’elle occupe le centre du Monde, puis que l’on ajoute un grand poids à l’un de ses hémisphères ; le centre de l’Univers et celui de la terre ne coïncideront plus. Qu’arrivera-t-il alors ? Ou bien la terre ne demeurera pas immobile au milieu de l’Univers, ou bien elle demeurera immobile, bien qu’elle ne tienne pas ce milieu et, partant, qu’elle soit apte à se mouvoir. Voilà la question douteuse. Mais ce doute se résoudra sans peine pour peu que nous analysions le jugement que nous formons lorsqu’un certain volume pesant se porte au centre. Il est clair que le mouvement de ce grave ne s’arrêtera pas au moment même où son extrémité inférieure touchera le centre de l’Univers ; sa partie la plus pesante l’emportera tant que son milieu ne coïncidera pas avec le milieu de l’Univers ; car jusqu’à cet instant, il aura poids (ῥοπή). Or on peut en dire autant soit d’une particule terrestre quelconque, soit de la terre entière ; car ce que nous venons de dire n’arrive pas à cause de la grandeur ou de la petitesse ; cela est commun à tout ce qui a poids pour se mouvoir vers le centre. Que la terre donc, à partir d’un lieu quelconque, se porte au centre soit en bloc, soit par fragments, elle se mouvra, nécessairement jusqu’à ce qu’elle environne le centre d’une manière uniforme, les moindres parties se trouvant égalées aux plus grandes en ce qui concerne la poussée de leur poids. »

La position que la terre occupe autour du centre du Monde est donc conditionnée par ceci, que les tendances qu’ont ses diverses parties à se porter au centre de l’Univers se compensent les unes les autres, comme se compensent les tendances à descendre qui sollicitent deux poids égaux placés dans les deux plateaux d’une

  1. Aristote, De Cœlo, livre II, cap. XIV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 407-409 ; éd. Bekker, vol. I, p. 297, col. b).