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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


fort peu lus ; dès l’Antiquité, on ne les connaissait plus guère que de réputation ; Ch. Thurot en a fait la remarque[1] : « Pappus cite[2] le Περὶ ὀχούμενων d’Archimède parmi les livres de Mécanique appliquée, avec les Pneumatiques de Héron d’Alexandrie : il n’en connaissait visiblement que le titre ».

Au Moyen-Age, en 1269, le Περὶ ὀχούμενων fut mis en latin[3] sous le titre : De insidentibus aquæ, par le célèbre traducteur Guillaume de Mœrbeke ; mais il ne paraît pas que les Scolastiques. fort attentifs à reproduire l’argumentation d’Aristote, aient tiré le moindre parti de cette traduction. Pour que l’on songeât à la lire, il fallut qu’au xvie siècle, elle tombât aux mains du fripon impudent qu’était Nicolò Tartaglia ; celui-ci n’hésita pas à se l’approprier et, en 1313, à la publier[4] comme son œuvre. En volant Guillaume de Mœrbeke, Tartaglia rendit à la Science mathématique un service insigne, car il mit en honneur l’étude d’Archimède. Mais, jusqu’au jour de cet heureux larcin, on ne connut communément d’autre théorie mécanique de l’équilibre des mers que celle dont Aristote était l’auteur.


XIV
LE CENTRE DE LA TERRE ET LE CENTRE DU MONDE

L’argumentation d’Aristote ne démontrait pas seulement que la terre tendait vers la forme sphérique, que la surface de la mer avait la figure d’une portion de sphère ; elle prouvait, en même temps, que ces deux surfaces sphériques avaient même centre que le centre du Monde.

Le centre de la terre coïncidant avec le centre du Monde, il reviendrait évidemment au même, en pratique, de dire que les graves se portent au centre de la terre ou de dire, comme le veut Aristote, qu’ils se portent au centre du Monde. Cette remarque

  1. Ch. Thurot, Recherches historiques sur le principe d’Archimède (Revue Archéologique, Nouvelle série, t. XIX, p. 47 ; 1869).
  2. Pappi Alexandrini Collectiones quæ supersunt. Edidit Fridericus Hultech, vol. III, p. 1025 ; Berolini, 1878.
  3. Valentin Rose, Deutsche Litteraturzeitung, 1884, pp. 210-213 — J. Heiberg, Neue Studien zu Archimedes (Zeitschrift für Mathematik und Physik, XXXIVer Jahrgang, 1889. Supplément, p. 1).
  4. Opera Archimedis Syrkacusani philosophi et mathematici ingeniosissimi per Nicolaum Tartaleam Brixianum (mathematicarum scientiarum cultorem) multis erroribus emendata, epurata ac in luce posita, Venetiis, 1543.