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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Trop sommaire, ce raisonnement ne va pas sans quelque obscurité ; Aristote, d’ailleurs, montre presque toujours une certaine gaucherie lorsqu’il use des déductions du géomètre ; et cependant, ce passage du Traité du Ciel mérite de retenir un instant l’attention.

Pour la première fois, on tentait d’appliquer le raisonnement mathématique à l’établissement d’une loi de l’équilibre des liquides pesants, en sorte que, par là, l’Hydrostatique rationnelle se trouvait fondée : et le premier problème qu’abordait la science nouvelle, c’était ce problème qui, aujourd’hui encore, donne lieu à de si profondes recherches, le problème de la figure d’équilibre des mers.

Il n’était guère malaisé de donner au raisonnement d’Aristote une forme géométrique plus explicite et plus rigoureuse ; après lui, on s’y appliqua.

Nous trouvons, en effet, cette même démonstration, mais plus clairement et plus complètement exposée, dans le Livre d’Astronomie Théon de Smyrne[1] a rapporté, par fragments, renseignement de son maître Adraste d’Aphrodisias ; et, vers le même temps, une allusion, peu claire d’ailleurs, à cette démonstration, se lit dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien[2] et dans les Pneumatiques de Héron d’Alexandrie[3]. De bonne heure, assurément, la théorie de la figure des mers donnée par Aristote était devenue classique dans les écoles.

Cependant, avant le temps où écrivaient Héron, Pline et Adraste, une autre démonstration de la sphéricité de la surface des mers avait été donnée par Archimède[4]. Bien qu’elle impliquât une idée erronée sur la grandeur de la pression hydrostatique[5], cette démonstration était plus savante que celle d’Aristote ; elle était même trop savante pour les successeurs immédiats d’Archimède, et c’est à cette cause, sans doute, qu’il faut attribuer l’oubli profond où elle est demeurée jusqu’au temps de la Renaissance.

Jusqu’à cette époque, d’ailleurs, l’œuvre d’Archimède et, en particulier, le traité Des corps flottants furent fort admirés, mais

  1. Theoxis Smyrnæi Liber de Astronomia, cap. III ; éd. Th.-H. Martin, pp. 144-149 ; éd. J. Dupuis, pp. 204-205.
  2. C. Plinii Secundi De mundi historia liber II, cap. LXV.
  3. Heronis Alexandrini Spiritalium liber, a Federico Commandino Urbinate ex græco nuper in Latinum conversus ; Urbini, MDLXXV. Fol. 11, verso, et fol. 12, recto. — Heronis Alexandrini. Opera quæ supersunt omnia. Volumen I Herons von Alexandria Druckwerke und Automatentheater, griechisch und deutsch herausgegeben von Wilhelm Schmidt, Leipzig, 1899. Pp. 38-39.
  4. Archimède, Des corps flottants (Περὶ ὀχουμένων ) livre I, prop. I.
  5. P. Duhem, Archimède a-t-il connu le paradoxe hydrostatique ? (Bibliotheca mathematica, 3te Folge, Bd. I, p. 15 ; 1900).