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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


à travers les siècles : C’est à la pesanteur que la terre doit sa figure.

De la pesanteur des divers corps terrestres, ou ne saurait conclure que la terre soit sphérique, mais seulement qu’elle tend à l’être ; grâce à leur rigidité, ses diverses parties s’étayent les unes les autres et se gênent en leurs mouvements. Il n’en est plus de même de l’eau ; la fluidité de cet élément supprime tout obstacle au changement de figure ; une eau dont les diverses parties tendent au centre du Monde ne saurait être en équilibre que sa surface ne soit une sphère concentrique à l’Univers.

Aristote a fort bien reconnu cette vérité ; il a entrepris de démontrer géométriquement la sphéricité de la surface des eaux : plus exactement, il a prouvé que si une face plane venait à interrompre cette parfaite sphéricité, cette face ne pourrait persister, tandis que la figure sphérique serait restaurée par la pesanteur. Voici en quels termes[1] trop concis, le Traité du Ciel présente cette argumentation :

« Que la surface de l’eau soit sphérique, cela est manifeste, si l’on accepte cette hypothèse : La nature de l’eau est de s’écouler




Fig. 2.


vers les lieux les plus bas, et ce lieu-là est le plus bas qui est le plus voisin du centre. En effet, du centre α (fig. 2), menons deux lignes αβ, αγ : joignons βγ ; sur cette ligne βγ abaissons, du point α, la perpendiculaire αδ et prolongeons-la jusqu’en ε ; cette ligne αδ sera la plus courte que l’on puisse prendre égale aux autres lignes αβ, αγ, issues du centre. Il faudra donc que l’eau comprenne la même longueur de toutes ces lignes issues du centre ; alors, elle demeurera en équilibre. Mais le lieu des extrémités de lignes égales issues du centre est une circonférence ; la surface de l’eau qui est βγ sera donc sphérique. »

  1. Aristote, De Cœlo, lib. II, ch. IV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 394 ; éd. Bekker, p. 287, col. b).