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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE

XIII
LA FIGURE DE LA TERRE ET DES MERS

L’un des plus remarquables chapitres du Traité du Ciel est, assurément celui où le Stagirite entreprend de prouver la sphéricité de la terre[1]. Les arguments qu’il donne peuvent se ranger en deux catégories : Les uns, fondés sur l’observation, démontrent qu’en fait, la terre est ronde ; ils nous révélent le τὸ ὅτι. Les autres, déduits des principes de la Physique, nous donnent l’explication de cette sphéricité ; ils nous enseignent le τὸ διότι.

Parmi ceux-là, qui sont tirés de ce qui apparaît aux sens (διὰ τῶν φαινομένων ϰατὰ τὴν αἴσθησιν), se place, en premier lieu, celui que fournit la figure circulaire de l’ombre de la terre, dans les éclipses de Lune. Cet argument est le plus probant que l’Antiquité ait connu[2] ; il ne paraît pas, cependant, qu’il ait été repris par aucun des cosmographes grecs ou latins qui sont venus après Aristote.

À la suite de cette preuve, le Stagirite mentionne cette autre observation : Le voyageur, s’avançant du Nord au Sud, voit certaines constellations s’abaisser et disparaître, tandis que d’autres, qui lui étaient d’abord inconnues, surgissent et s’élèvent devant lui. Cette observation peut même servir à évaluer les dimensions du globe terrestre ; de ces dimensions, Aristote fait connaître une détermination ; cette détermination, qu’il tenait peut-être d’Eudoxe, est la plus ancienne qui soit parvenue à notre connaissance ; nous en reparlerons plus loin[3].

Les deux preuves que nous venons de rapporter n’invoquent aucun principe qui soit particulier à la Physique péripatéticienne ; il n’en est plus de même de celle-ci qui fait encore appel, cependant, aux données de la perception sensible.

Aristote admet que tous les graves, lorsqu’ils tombent librement, tendent au centre du Monde ; or la ligne qu’ils suivent en leur chute, la verticale, variable en direction d’un point à l’autre de la terre, est toujours normale à la surface de ce corps ; cette surface est donc sphérique.

  1. Aristote, De Cœlo, livre II, ch. XIV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 407-410 ; éd. Bekker, vol. I, p. 296, col. a-298, col. a).
  2. Paul Tannery, Recherches sur l’histoire de l‘Astronomie ancienne, ch. V, 1 ; p. 103.
  3. Voir chapitre IX, § 1.