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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Il y a, en outre, des corps qui sont relativement graves et relativement légers (πρὸς τι βαρύ, πρός τι ϰούφον). On peut ranger ces corps sur une sorte d’échelle ; le corps qui se trouve sur un échelon est plus grave que le corps placé sur l’échelon immédiatement supérieur, plus léger que le corps placé sur l’échelon immédiatement inférieur. Si nous nous bornons à considérer les éléments, l’eau est plus légère que la terre, mais elle est plus grave que l’air, qui est lui-même plus grave que le feu.

Un corps relativement grave et relativement léger ne tend pas simplement à descendre ou simplement à monter ; il tend à descendre si le corps qui est au-dessous de lui est plus léger que lui ; il tend à monter si le corps qui est au-dessus de lui est plus lourd que lui. Une goutte d’eau tombe au sein de l’air ; une bulle d’air monte lorsqu’elle a de l’eau au-dessus d’elle.

La notion du lieu naturel se transforme lorsqu’il s’agit d’un corps qui est grave ou léger d’une manière relative[1] ; un tel corps demeurera en repos et, partant, il sera en son lieu naturel lorsqu’il aura, au-dessous de lui, des corps plus lourds que lui et, au-dessus de lui, des corps plus légers que lui.

Si donc les éléments se trouvaient exactement en leurs lieux naturels, la terre occuperait la région centrale du Monde, l’eau entourerait la terre, l’air entourerait l’eau et le feu entourerait l’air.

Telle est, en ses grandes lignes et en négligeant une foule de détails, la théorie du grave et du léger proposée par Aristote. Pendant deux millénaires, elle va dominer toute la Science mécanique. La révolution copernicaine la renversera pour reprendre, tout d’abord, la théorie platonicienne ; elle admettra que le semblable attire son semblable et que les parties détachées d’un astre ont tendance à retourner à cet astre. Attaquée à son tour par Képler, cette doctrine de Platon finira par céder le pas à l’hypothèse de l’attraction mutuelle de deux corps quelconques, hypothèse qui triomphera avec Newton.

Passons rapidement en revue quelques-uns des problèmes auxquels Aristote a appliqué sa théorie de la pesanteur.

  1. Aristote, De Cœlo, livre IV, ch. IV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 430-431 ; éd. Bekker, vol. I, p. 312, col. b).