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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


lui sont homogènes. Au Timée, Platon enseignait[1] semblable doctrine.

Cette doctrine, Aristote[2] la repousse formellement. Lorsqu’une masse de terre pesante vient à tomber, ce n’est pas parce qu’elle cherche à s’unir à l’ensemble de l’élément terrestre, mais parce qu’elle tend au centre du Monde. « Les anciens disaient que le semblable se porte vers son semblable (ὅτι τὸ ὅμοιον φέροιτο πρὸς τὸ ὅμοιον). Cela n’arrive aucunement. Si l’on plaçait la Terre au lieu où la Lune se trouve maintenant, une partie détachée de la Terre ne se porterait point vers la Terre entière, mais bien vers le lieu où la Terre est maintenant placée. »

Ce mouvement naturel du corps grave vers le bas, du corps léger vers le haut s’explique comme tous les autres mouvements : privée d’une forme, la matière est portée vers ce qui peut lui conférer cette forme. « Cela meut[3] vers le haut ou vers le bas qui est producteur de légèreté ou de gravité ; cela est mobile qui est léger en puissance ou lourd en puissance. Que chaque corps soit porté vers son lieu propre, cela revient à dire qu’il est porté vers sa forme propre — Εἰ οὖν εἰς τὸ ἄνω ϰαὶ τὸ ϰάτω ϰινητιϰόν μὲν τὸ βαρυντιϰὸν ϰαὶ τὸ ϰουφιστιϰόν, ϰινητὸν δὲ τὸ δυνάμει βαρὺ ϰαὶ ϰοῦφον, τὸ δ' εἰς τὸ αὑτοῦ τόπον φέρεσθαι ἕϰαστον τὸ εἰς τὸ αὑτοῦ εἰδος ἐστι φέρεσθαι.

Ce passage d’Aristote a suscité bien des commentaires qui ont contribué à en éclaircir le sens.

On pourrait être tenté de l’interpréter ainsi : Dans un corps qui tombe, la matière est le mobile, tandis que la forme est le moteur. On s’écarterait assurément de la pensée d’Aristote ; dans un corps qui se meut de mouvement local, le Stagirite entend que la forme se meuve avec la matière[4], que le mobile soit formé par la substance prise en son intégrité, forme et matière : « Τὸ μὲν γὰρ εἶδος ϰαὶ ὴ ὕλη οὐ χωρίζεται τοῦ πράγματος. »

Voici donc comment il faut exactement comprendre la pensée d’Aristote :

Dans un corps pesant ou léger, le mobile, c’est le corps tout entier, composé de sa matière et de sa forme. Mais ce corps, lorsqu’il ne se trouve pas en son lieu naturel, est en puissance de quelque chose, à savoir d’occuper le lieu naturel dont il est privé ; s’il n’en est

  1. Voir Chapitre II, § VI, pp. 50-51.
  2. Aristote, De Cœlo lib. IV, cap. III (Aristotelis éd, Didot, t. II, p. 427 ; éd. Bekker, vol. I, p. 310, col. b).
  3. Aristote loc. cit.3
  4. Aristote, Physique, livre IV, ch. II [IV] (Aristotelis Didot, t. II, p. 287 ; éd. Bekker, vol. I, p. 209, col. b).