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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


trième livre de sa Physique. La nature du lieu est l’objet de ces théories.

Qu’est-ce que le lieu d’un corps ? Après avoir exposé et discuté les réponses diverses que les philosophes ont proposé de faire à cette question, Aristote s’arrête[1] à celle-ci : « Le lieu d’un corps ne peut pas être autre chose que la partie, immédiatement contiguë à ce corps, du milieu qui l’environne. Ἀνάγκη τὸν τόπον εἶναι… τὸ πέρας τοῦ περιέχοντος σώματος ». Un corps solide, par exemple, est-il plongé dans l’eau ? Le lieu de ce corps solide, c’est l’eau qui lui est immédiatement contiguë.

Si l’on s’en tient fermement à cette définition, que sera le mouvement local en vertu duquel, aux divers instants de la durée, un corps se trouve en des lieux différents ? Il consistera en ceci que le mobile sera enveloppé par certains corps à un certain instant, et par d’autres corps à un autre instant. ; selon la définition qu’en donnera Descartes[2], il sera « le transport d’une partie de la matière ou d’un corps du voisinage de ceux qui le touchent immédiatement… dans le voisinage de quelques autres ». Un corps plongé dans l’eau sera en mouvement si l’eau qui le baigne change d’un instant à l’autre.

Cette conséquence, logiquement déduite de la définition du lieu qu’il a donnée tout d’abord, Aristote se refuse à l’admettre. Un navire est à l’ancre dans un fleuve ; l’eau qui baigne ce navire s’écoule et se renouvelle sans cesse ; le lieu du navire change d’un instant à l’autre ; nous devons donc déclarer, d’après la définition précédente, que ce navire se meut de mouvement local ; or, bien au contraire, nous affirmons que ce navire est immobile, qu’il ne change pas de lieu.

Le lieu, ce n’est donc plus ici l’eau qui touche immédiatement les parois du navire ; cette eau, en effet, est mobile, tandis qu’« essentiellement, le lieu doit être immobile. Βούλεται δ’ ἀϰίνητος εἶναι ὁ τόπος ». Là est la différence entre le lieu et le vase ; « de même que le vase est un lieu mobile, le lieu est un vase immobile ; ἔστι δ' ὥσπερ τὸ ἀγγεῖον τόπος μεταφορητός, οὕτω ϰαὶ ὁ τόπος ἀγγεῖον ἀμεταϰίνητον ».

L’immobilité est un des caractères premiers qu’Aristote attribue au lieu ; Simplicius nous apprend[3] que Théophraste et Eudème

  1. Aristote, Physique, livre IV, ch. IV [VI] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 171 ; éd. Bekker, vol. I, p. 212, col. a).
  2. Descartes. Les principes de la Philosophie, IIe partie, art. 25.
  3. Simplicii In Aristotelis physicorum libros quattuor priores commentaria’’. Edidit Hermannus Diels. Berolini, MDCCCLXXXII. Lib. IV, ch. IV, pp. 606.