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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


les sphères célestes que contient l’orbe inerrant, mais encore son action s’exerce dans le monde sublunaire ; pour les choses susceptibles de génération et de corruption qui composent ce monde-là, il est le principe de la permanence : aussi le Stagirite le nomme-t-il[1] : « le mouvement local simple de l’Univers, que meut l’Essence première et immobile — Τὴν τοῦ παντὸς τὴν ἁπλῆν φοράν, ἢν ϰινεῖν φαμὲν τὴν πρώτην οὐσίαν ϰαὶ ἀϰίνητον. »

La conclusion d’Aristote pourrait donc se formuler ainsi : « Le temps est le nombre du mouvement universel directement produit par le premier Moteur immobile. Ainsi formulée, cette conclusion apparaît fort semblable à la définition du temps posée par Archytas de Tarente ; pour celui-ci, en effet, le temps est le nombre du mouvement universel immédiatement émané de l’Âme du Monde. Ainsi se trouve mis en évidence le lien qui unit la théorie péripatéticienne du temps à la théorie pythagoricienne.

À la vérité, entre la doctrine d’Aristote et celle d’Archytas, il est une différence très apparente et que l’on ne peut pas ne pas signaler ; c’est la Grande Année qui, pour Archytas, est l’unité de temps, tandis qu’au gré d’Aristote, cette unité est le jour sidéral. Mais un simple changement d’unité ne saurait dissimuler la profonde analogie qui rapproche les pensées de ces deux philosophes au sujet de la nature du temps. Il semble, d’ailleurs, que l’enseignement de Platon établisse comme une transition entre celui d’Archytas et celui d’Aristote ; le Timée prend soin, en effet de marquer le changement d’unité qui permet de passer de l’un à l’autre ; la Grande Année n’y est plus prise pour unité de temps ; mesurée « à l’aide de ce qui reste toujours le même et de ce qui a une marche uniforme (τοῦ ταὐτοῦ ϰαὶ ὁμοίως ἰόντος) », c’est-à-dire du jour sidéral, durée de rotation de la sphère inerrante, la Grande Année fournit le nombre parfait du temps, le ἀριθμὸς χρόνου.

Entre les deux doctrines qu’Archytas et Aristote ont exposées touchant la nature du temps, la parenté se manifeste à nous. Mais l’opposition n’est pas moins évidente entre les méthodes qui ont conduit ces deux philosophes à des doctrines si semblables. Archytas a reçu ses principes des dogmes de la Théologie pythagoricienne ; c’est de l’expérience qu’Aristote a tiré les siens.

  1. Aristote, Métaphysique, livre XI, ch. VIII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 606 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1073, col. a).