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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


grandeur infinie en acte ; il est de la nature de l’infini de ne pouvoir jamais exister d’une manière actuelle, de n’être pas susceptible d’un autre mode d’existence que d’une existence en puissance, d’une existence inachevée.

Lorsque nous parlons, en effet[1], de l’existence en puissance de l’infini, il ne faut pas prendre ce mot : puissance, dans son sens habituel. Si nous disons par exemple : Ce bloc de marbre est une statue en puissance, nous voulons dire que cette statue sera, un jour, réalisée d’une manière actuelle. Lorsqu’au contraire, nous parlons d’un infini en puissance, nous n’entendons aucunement que cet infini arrivera à l’existence actuelle. D’une manière précise, voici en quoi consiste l’infini : C’est une opération où, sans cesse, on prend quelque chose de nouveau ; ce qui est déjà pris d’une manière actuelle demeure toujours fini ; mais toujours, aussi, il reste à prendre une chose différente de celles qui ont été prises auparavant : « Οὐ δεῖ δὲ τὸ δυνάμει ὂν λαμϐάνειν, ὥσπερ εἰ δυνατὸν τοῦτ’ ἀνδριάτα εἶναι, ὡς ϰαὶ ἔσται τοῦτ’ ἀνδριάς, οὕτω ϰαὶ ἄπειρόν τι, ὅ ἔσται ἐνεργείᾳ… Ὅλως μὲν γὰρ οὕτως ἐστὶ τὸ ἄπειρον, τῷ ἀεὶ ἄλλο ϰαὶ ἄλλο λαμϐάνεσθαι, ϰαὶ τὸ λαμϐανόμενον μὲν ἀεὶ εἶναι πεπερασμένον, ἀλλ’ ἀεὶ γε ἕτερον ϰαὶ ἕτερον. Il ne faut donc pas concevoir l’infini comme quelque chose de déterminé, à la façon d’un homme ou d’une maison, mais à la façon dont on parle du jour présent ou du combat qui se livre sous nos yeux ; ces choses, en effet, ne possèdent pas l’existence sous forme d’une subsistance permanente, mais elles la possèdent en une perpétuelle génération et en un perpétuel anéantissement ; bien qu’il demeure toujours fini, ce fini change sans cesse. Ὥστε τὸ ἄπειρον οὐ δεῖ λαμϐάνειν ὡς τόδε τι, οἶον ἄνθρωπον ἣ οἱϰίαν, ἀλλ’ ὡς ἡ ἡμέρα λέγεται καὶ ὁ ἀγών, οἶς τὸ εἶναι οὐχ ὡς οὐσία τις γέγονεν, ἀλλ’ ἀεὶ ἐν γενέσει ἢ φθορᾷ, εἰ ϰαὶ πεπερασμένον, ἀλλ’ ἀεὶ γε ἕτερον ϰαὶ ἕτερον ».

Tel est, en peu de mots, l’enseignement d’Aristote au sujet de l’infini.


VIII
LE TEMPS

Dans l’étude de la substance céleste, nous avons vu Aristote, fidèle à sa méthode, prendre pour point de départ les données de

  1. Aristote, Physique, livre III, ch. VI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 281 ; éd. Bekker, vol. I, p. 206, col. a).