Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


mathématicien, de l’addition, de la division ; mais, par ces mots, il n’entendra pas signifier des opérations purement conçues ; il désignera des opérations réellement effectuées sur des choses concrètes.

La pensée d’Aristote au sujet de ce que nous nommerions aujourd’hui l’infiniment petit n’a rien qui nous puisse surprendre[1] ; la subdivision (ἀφαιρέσις ou διαιρέσις) d’une grandeur continue quelconque, ligne, surface ou volume, se peut poursuivre indéfiniment ; jamais elle n’atteindra un terme au-delà duquel elle deviendrait impossible. « On ne saurait marquer une partie si petite d’une grandeur que l’on ne puisse, par division, en obtenir une plus petite ». Toute grandeur est donc, en puissance (δυνάμει), divisible à l’infini, « car il n’est pas difficile de prouver la non-existence des lignes insécables ».

Aristote, en effet, accable de ses arguments les atomes de Leucippe et de Démocrite. Au sixième livre des Physiques, dans son opuscule Sur les lignes insécables, enfin en divers passages du De Cælo, il s’acharne à démontrer qu’il ne saurait exister de grandeur continue indivisible.

Plus singulière assurément, et plus contraire à nos habitudes d’esprit, est la théorie que le Stagirite propose au sujet de l’infiniment grand.

Et d’abord, une grandeur infinie peut elle exister en acte (ἐνεργείᾳ) ? Certainement non. « Il n’existe pas de corps actuellement infini — Ἐνεργείᾳ οὐϰ ἔστι σῶμα ἄπειρον »[2]. C’est un des axiomes fondamentaux de la philosophie d’Aristote. Le Monde n’est pas infini ; la surface externe de l’orbe des étoiles fixes en marque la borne, au-delà de laquelle il n’y a et il ne peut y avoir aucun corps ; aucun volume donné en acte, c’est-à-dire réalisé par un corps concret, ne peut être plus grand que le volume de la sphère qu’enclôt cette surface ; aucune ligne droite réelle ne peut surpasser en longueur le diamètre de cette sphère.

S’il n’existe pas de grandeur infinie actuelle, peut-on prétendre, du moins, qu’une grandeur infinie existe en puissance ? Et d’abord, quel serait le sens d’une telle affirmation[3] ?

Supposons que l’on prenne une grandeur réelle et concrète, puis une autre, puis encore une autre ; supposons que chacune de

  1. Aristote, Physique, livre III, ch. VI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 282 ; éd. Bekker, vol. I, p. 206, col. a).
  2. Aristote, De Cœlo, livre I, ch. VII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 378 ; éd. Bekker, vol. I, p. 276, col. a).
  3. Aristote, Physique, livre III, ch. VI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 281 ; éd. Bekker, vol. I, p. 206, col. a).