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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


composant entre elles des rotations uniformes accomplit une tâche sacrée ; il pose les bases d’une Théologie rationnelle.


VII
LES DEUX INFINIS

La théorie de la substance céleste repose essentiellement, selon la Physique d’Aristote, succès deux principes :

Le mouvement de la substance céleste doit se poursuivre éternellement avec une vitesse invariable.

Un mouvement uniforme ne peut pus se poursuivre éternellement en ligne droite.

Ce dernier principe est, lui-même, une conséquence de cette autre proposition : Comme il n’y a rien hors du Monde, ni plein, ni lieu, ni vide, il n’y a pas de ligne droite qui puisse être effectivement prolongée hors des bornes du Monde ; il n’existe pas de ligne droite infiniment longue.

Aux principes, donc, qui dirigent la théorie péripatéticienne de la substance céleste, se rattache l’enseignement que le Stagirite donnait au sujet de l’infini ; très sommairement, indiquons ici quel était cet enseignement[1].

Lorsqu’Aristote considère l’infiniment grand et l’infiniment petit, il se place à un point de vue absolument distinct de celui qu’a choisi le mathématicien[2] ; il est essentiel de faire cette remarque, faute de laquelle certaines affirmations du Stagirite pourraient être taxées d’absurdité.

Le mathématicien traite seulement de notions abstraites conçues par sa raison (ἐπὶ τῆς νοήσεως) ; c’est dans ce domaine purement intellectuel qu’il pose la possibilité de surpasser toute grandeur par voie d’addition, toute petitesse par voie de subdivision ; le Philosophe laisse libre cours à cette fantaisie, car il se propose de discourir des mêmes questions, mais au point de vue du réel (ἐπὶ τοῦ πράγματου) ; il parlera, lui aussi, des opérations dont parle le

  1. On trouvera un exposé très documenté de cet enseignement dans : Kurd Lasswitz, Geschichte der Atomistik vom Mittelalter bis Newton ; Erster Band : Die Erneuerung der Korpuskulartheorie, pp. 79-134. Berlin et Leipzig, 1890. Voir également ; G. Milhaud, Études sur la pensée scientifique chez les Grecs et chez les Modernes ; III. Aristotle et les Mathématiques. Paris, 1906.
  2. Aristote, Physique, livre III, ch. VII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 284 ; éd. Bekker, vol. I, p. 207, col. b).