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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


stance simple, immatérielle, immobile qui est Dieu détermine, en la matière de l’orbe suprême, l’admiration et le désir d’où résulte, en cet orbe, une rotation uniforme et éternelle.

Mais la rotation éternelle et uniforme que le premier moteur communique au Ciel est unique ; or l’Astronomie[1] nous révèle qu’il y a, en la substance céleste, d’autres rotations que la rotation diurne de l’orbe suprême, savoir, les rotations diverses dont résultent les mouvements propres apparents des astres errants. « Il faut donc, pour les raisons précédemment indiquées, qu’il existe tout autant de substances éternelles par nature et de soi immobiles », qui seront les moteurs de ces diverses rotations. « Il est, dès lors, évident qu’il existe de semblables substances et que l’ordre dans lequel se rangent les diverses rotations dont les astres sont mus désigne quelle est la première de ces substances, quelle la seconde. »

Si nous voulons connaître le nombre des substances immatérielles et divines qui meuvent les sphères célestes, si nous désirons être instruits de la hiérarchie suivant laquelle s’ordonnent ces substances, il nous faudra rechercher quelles sont les diverses rotations uniformes en lesquelles se décomposent les mouvements des astres errants.

Cette recherche dépend de l’Astronomie mathématique. Aussi Aristote est-il amené à nous faire connaître les résultats auxquels cette science a conduit Eudoxe et Calippe, à compléter ces résultats par l’introduction des sphères compensatrices. Lorsque le Philosophe a terminé l’énumération des orbes célestes, il conclut en ces termes : « Tel est le nombre des sphères. Nous devons raisonnablement admettre qu’il existe un même nombre d’essences sensibles et un même nombre d’essences qui sont principes immobiles. — Τὸ μὲν οὖν πλῆθος τῶν σφαιρῶν ἔστω τοσοῦτον, ὥστε ϰαὶ τὰς οὐσίας ϰαὶ τὰς ἀρχὰς τὰς ἀϰινήτους ϰαὶ τὰς αἰσθητὰς τοσαύτας εὔλογον ὑπολαϐεῖν ».

La Physique d’Aristote aboutit ainsi à une conclusion bien voisine de celle qu’avait formulée la Philosophie platonicienne. À l’Astronomie mathématique, l’Auteur de la Métaphysique assigne le même objet que l’Auteur des Lois ; cette science nous doit enseigner avec exactitude combien il y a d’intelligences divines, selon quel ordre elles se subordonnent les unes aux autres et au Dieu suprême ; pour l’un comme pour l’autre, le géomètre qui cherche à sauver les mouvements apparents désastres errants en

  1. Aristote, Métaphysique, livre XI, ch. VIII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 606-608 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1073-1074).