Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


mouvement, il est évidemment mû par un autre. — Ἅπαν τὸ ϰινούμενον ἀνάγϰη ὑπό τινος ϰινεῖσθαι. Εἰ μὲν οὖν ἐν ἑαυτῷ μὴ ἔχει τὴν ἀρχὴν τῆς ϰινήσεως, φανερὸν ὅτι ὑφ’ ἑτέρου ϰινεῖται. »

Certains êtres sont les principes de leur propre mouvement ; en eux, la même substance est, à la fois, mobile et moteur ; ces êtres sont les êtres animés. Si les orbes célestes étaient des êtres animés, il n’y aurait pas lieu de chercher leurs moteurs hors d’eux-mêmes. Mais Aristote n’admet pas que les sphères formées par l’essence céleste soient animées ; en elles, la substance mue n’est pas la même que la substance qui meut ; il faut, à ces sphères, attribuer des moteurs qui en soient distincts.

Que des corps inanimés « se meuvent eux-mêmes[1], cela est évidemment impossible ; c’est, en effet, vital et propre aux êtres animés. — Τὸ τε γὰρ αὐτὰ ὑφ’ αὑτῶν φάναι ἀδύνατον · ζωτιϰόν τε γὰρ τοῦτο ϰαὶ τῶν ἐμψύχων ἴδιον ».

Une sphère céleste[2] ne saurait donc se mouvoir s’il n’existait, de son mouvement, une cause en acte (ἐνεργείᾳ αἴτιον), car la matière céleste ne saurait se mouvoir d’elle-même ; d’ailleurs, comme ce mouvement est éternel, il requiert un moteur éternel, partant, une substance qui, éternellement et toujours de la même manière, soit en acte ; dès lors, en une telle substance, il n’y aura rien qui soit en puissance ; elle sera acte pur et séparée de toute matière. Les moteurs célestes seront forcément des substances immatérielles.

Le Ciel suprême[3] est éternel et mobile d’un mouvement perpétuel et uniforme : le moteur de ce Ciel sera une substance immatérielle, acte pur sans aucun mélange de puissance, partant immobile. Comment ce premier moteur, immatériel et immobile, peut-il mouvoir l’orbe des étoiles fixes ? La matière, nous l’avons vu, désire la forme comme l’épouse désire l’époux, comme ce qui est laid désire la beauté. Cet amour, ce désir, est le principe de tous les mouvements qui se produisent en la matière ; il est, en particulier, le principe du mouvement du Ciel suprême.

Le premier moteur meut ce Ciel parce qu’il est intelligible et désirable, et c’est ainsi qu’il le peut mouvoir tout en restant immobile. Lorsque l’intelligence a compris que quelque chose est beau, le désir de cette belle chose naît en la volonté ; l’intelligible devient désirable et, par là, cause de mouvement. Ainsi la sub-

  1. Aristote, Physique, livre VIII, ch. IV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 348 ; éd. Bekker, vol. I, p. 255, col. a).
  2. Aristote, Métahysique, livre XI, ch. VI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 604 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1071, col. b).
  3. Aristote, Métahysique, livre XI, ch. VII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 605 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1072, coll. a et b).