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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


tion entraîne dilatation ou contraction, en sorte qu’elle fait assurément défaut là où ni la dilatation ni la contraction ne peuvent se produire. « Il est donc évident que le premier de tous les corps est éternel, qu’il ne peut se dilater ni se contracter, qu’il ne peut vieillir, qu’il est exempt de toute altération et de tout changement. »

« Ce corps supérieur, dit Aristote[1], qui n’est ni la terre ni le feu ni l’air ni l’eau, les anciens l’ont nommé éther (αἰθήρ) par ce qu’il court sans cesse et pour l’éternité (θεῖν ἀεί). »

La doctrine physique qu’Aristote développe le conduit ainsi à une conclusion que Platon ou Philippe d’Oponte avait déjà indiquée dans l’Épinomide ; aux corps célestes, il attribue une substance simple, essentiellement distincte des quatre éléments dont sont formés les corps du Monde inférieur ; de cette cinquième essence, il s’attache, avec un soin particulier, à définir les caractères ; incapable de génération ni de corruption, elle ne pourra ni provenir de la transmutation de quelqu’un des quatre éléments, ni se transformer en aucun d’entre eux. En constituant les cieux avec cette substance éternelle, la Physique péripatéticienne se sépare de la Physique des Pythagoriciens et de Platon ; pour ceux-ci, en effet, il n’existait que quatre éléments corporels ; composés d’un feu très pur, le Ciel et les astres n’étaient pas séparés des corps sublunaires par la barrière infranchissable qu’Aristote élève entre eux. Que d’efforts il faudra pour renverser cette barrière !

Incapable d’éprouver aucun changement, la substance du Ciel ne saurait tourner tantôt lentement et tantôt vite ; sa rotation s’accomplit donc toujours avec la même vitesse ; son mouvement est uniforme[2], « ὁμαλὴς ἐστι καί οὐκ ἀνώμαλος ». La Physique d’Aristote conduit ainsi à justifier l’axiome que Platon et les Pythagoriciens mettaient à la base de l’Astronomie mathématique : Tout mouvement propre d’un corps céleste est nécessairement circulaire et uniforme.

Le Ciel est sphérique. Parmi les figures solides, en effet, la sphère occupe le premier rang et est la plus parfaite[3] « la figure qui occupe le premier rang entre les figures convient au corps qui a la primauté sur les autres corps ; or le premier des corps est celui qui est mû par la circulation suprême ; ce corps là sera

  1. Aristote, De Cœlo, livre I, cap. III (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 371 ; éd. Bekker, vol. I, p. 270, col. b).
  2. Aristote, De Cœlo, livre II, cap. VI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 395 ; éd. Bekker, vol. I, p. 288, col. a).
  3. Aristote, De Cœlo, livre II, cap. IV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 393-394 ; éd. Bekker, vol. I, p. 286, col. b).