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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

La réponse qu’il donne à cette question découle d’un principe qui joue, dans sa Physique, un rôle tout-à-fait essentiel, et auquel il revient à plusieurs reprises. Ce principe est le suivant : L’Univers a une grandeur finie[1]. « Le corps de l’Univers n’est pas infini, οὐϰ ἔστι τὸ σῶμα τοῦ Παντὸς ἄπειρον, » affirme le Stagirite[2], en conclusion de sa longue analyse.

Une surface, qui limite le ciel ultime, borne cet Univers. « Au delà du Ciel[3], il n’y a plus aucun corps et il ne peut plus y en avoir aucun. Μήτ’ εἶναι μηδὲν ἔξω σῶμα τοῦ Οὐρανοῦ μήτ’ ἐνδέχεσθαι γενέσθαι ». Peut-on dire qu’au delà de cette surface suprême, il y a le vide ? Pas davantage. Le mot vide désigne un lieu qui ne contient pas de corps, mais qui pourrait en contenir un ; et aucun corps ne peut exister ni être produit à l’extérieur du Ciel ; hors de l’Univers, il n’y a pas de vide, car il n’y a pas de lieu. « L’Univers[4] n’est point quelque part ni en quelque lieu que ce soit — Ὁ δ’ Οὐρανός… οὔ που ὅλος οὐδ’ ἔν τινι τόπῳ ἐστίν… Pour qu’une chose soit quelque part, il faut non seulement que cette chose ait une existence propre, mais encore qu’il existe, hors d’elle, une autre chose au sein de laquelle elle soit contenue. Mais au delà de l’Univers et du Tout, il n’y a rien qui soit au dehors de l’Univers, παρὰ δὲ τὸ Πᾶν ϰαὶ Ὅλον οὐδέν ἐστιν ἔξω τοῦ Παντός ».

De là, deux corollaires :

Hors de l’Univers, un corps ne saurait se mouvoir de mouvement local, puisqu’il n’y a pas de lieu.

Aucune ligne droite actuelle ne peut être de longueur infinie ; réalisée au sein de l’Univers, elle ne peut surpasser la plus grande dimension de la surface qui enclôt cet Univers ; cette surface, nous le verrons, étant une sphère, elle ne peut être plus longue que le diamètre de l’Univers.

Ces corollaires servent de principes à la recherche du mouvement local auquel il convient d’attribuer la primauté parmi les mouvements de même espèce.

Celui-là, parmi les mouvements locaux, méritera d’être considéré comme premier qui, indéfiniment, pourra se poursuivre identique à lui-même[5]. Or, il existe — c’est encore un principe

  1. Aristote, Physique, livre III, cc. IV, V [VI], VI [VIII] De Cœlo lib. I, Capp. V, VI, VII.
  2. Aristote, De Cœlo, lib. I, cap. VII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 378 ; éd. Bekker, vol. I, p. 276, col. a).
  3. Aristote, De Cœlo, livre I, cap. IX (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 3821 ; éd. Bekker, vol. I, p. 278, col. b).
  4. Aristote, Physique, livre IV, ch. V [VII] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 291 ; éd. Bekker, vol. I, p. 212, col. b).
  5. Aristote, Physique, livre VIII, ch. VII [XI] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 171 ; éd. Bekker, vol. I, p. 261, col. a).