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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


plus voisins du commencement [que les hommes qui vécurent au temps de la guerre de Troie] ? S’il en était ainsi, nous leur serions antérieurs. Puisque, par son mouvement local, chaque ciel et chaque astre parcourt un cercle, pourquoi n’en serait-il pas de même de la génération et de la destruction de toute chose périssable, de telle sorte que cette même chose puisse, elle aussi, naître et périr de nouveau ? Ainsi dit-on également que les choses humaines parcourent un cercle. Croire que les hommes qui naissent sont toujours numériquement les mêmes, c’est une sottise ; mais on émettrait une meilleure opinion en disant qu’ils sont conservés spécifiquement (Τὸ μὲν δὴ τῷ ἀριθμῷ τοὺς αὐτοὺς ἀξιοῦν εἶναι ἀεὶ τοὺς γινομένους εὔηθες, τὸ δὲ τῷ εἴδει μᾶλλον ἄν τις ἀποδέξαιτο). Il peut donc se faire que nous soyons antérieurs même [aux contemporains de Troie]. À la série des événements, on assignera donc une telle disposition qu’il faille revenir à l’état qui a servi de point de départ et reprendre sans discontinuité une marche qui repasse par les mêmes choses. Alcméon a dit que les hommes sont périssables parce qu’ils ne peuvent souder leur fin à leur commencement. Il a fort joliment dit, pourvu qu’on entende qu’il s’est exprimé d’une manière figurée et que l’on ne veuille pas prendre ce propos au pied de la lettre. Si la suite des événements est un cercle, comme le cercle n’a ni commencement ni fin, nous ne pouvons, par une plus grande proximité à l’égard du commencement, être antérieurs à ces gens là, et ils ne peuvent pas non plus nous être antérieurs. ».

Il n’est guère possible de souhaiter un texte où la forme cyclique et périodique de la vie du Monde soit plus nettement affirmée ; il n’est guère possible, non plus, d’en trouver où l’on marque plus exactement à quel point une telle théorie bouleverse l’idée que le commun des hommes se fait de la succession dans le temps.


VI
LA SUBSTANCE CÉLESTE ET SES MOUVEMENTS

Après avoir établi la suprématie du mouvement local sur toutes 1rs autres catégories de mouvements, Aristote se demande quel est le plus parfait des mouvements locaux[1].

  1. Aristote, Physique, livre VIII, ch. VII [X]) (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 357 ; éd. Bekker, vol. I, p. 261, col. a et b)