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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


partie fausse. Sans doute, bien des lieux qui étaient submergés sont, maintenant, terre ferme ; mais la transformation contraire se produit également ; ceux qui voudront bien tourner les yeux de ce côté verront qu’en bien des endroits, la mer est venue recouvrir la terre.

» N’allons pas prétendre, cependant, que ces changements sont dus à ce fait que le Monde a commencé. Il est ridicule d’invoquer un changement de tout l’Univers pour expliquer de petites choses qui ne pèsent pas plus qu’une plume[1] ».

Aristote repousse donc la doctrine d’Anaximandre, d’Anaximène, d’Héraclite et d’Empédocle, la doctrine que les Stoïciens allaient bientôt reprendre ; il ne veut pas que l’Univers entier soit soumis à des alternatives de génération et de destruction ; comme les Pythagoriciens, comme Platon, il exempte les cieux de ces alternatives ; le monde sublunaire seul les subit ; encore s’y réduisent-elles à des changements locaux dont l’importance et l’étendue semblent fort minimes si on les compare à l’ensemble du Monde.

Il est un point, dans la doctrine des philosophes pythagoriciens et de Platon, qu’Aristote ne paraît pas disposé à recevoir ; c’est l’affirmation que chaque période cosmique doit, par la réincarnation d’une âme éternelle, ramener à la vie des hommes numériquement identiques à ceux qui ont existé ; le retour d’hommes spécifiquement semblables à ceux-là, mais numériquement différents, paraît, au Stagirite, la seule hypothèse acceptable.

« De quelle façon écrit-il[2], doit-on comprendre ces mots avant et après ? Faut-il les entendre de la façon suivante : Ceux qui ont vécu au temps de la guerre de Troie nous sont antérieurs ; à ceux-ci, sont antérieurs ceux qui ont vécu plus anciennement, et ainsi de suite à l’infini, les hommes qui se trouvent plus haut dans le passé étant toujours tenus pour antérieurs aux autres ? Ou bien, s’il est vrai que l’Univers ait un commencement, un milieu et une fin ; que ce qui, en vieillissant, est parvenu à sa fin, soit, par là-même, revenu de nouveau à son commencement ; s’il est vrai, d’ailleurs, que les choses antérieures soient celles qui sont les plus proches du commencement ; qui empêche alors que nous ne soyons

  1. Ce qu’Aristote affirme en ce passage, son disciple Théophraste le développait en une page que nous a conservée le Περὶ ἀφθαρσίας Κόσμου attribué à Philon d’Alexandrie. Les considérations d’Aristote et de Théophraste ont joué un grand rôle dans les premières études des géologues (P. Duhem, Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus et ceux qui l’ont lu, Deuxième série. XII. Léonard de Vinci et les origines de la Géologie).
  2. Aristotelis Problemata, XVII, 3 (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. IV, pp. 202-203 ; éd. Bekker, vol. II, p. 216, col. a).2