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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


et cette périodicité, il la déduit de son axiome : Le mouvement local est le premier mouvement et le principe de tous les autres changements.

En admettant que la vie de l’Univers est soumise, dans le temps, à une certaine périodicité, Aristote s’accorde avec les anciens physiologues hellènes ; mais il s’écarte d’eux lorsqu’il s’agit de fixer l’amplitude de l’oscillation qu’éprouve l’ordre du Monde.

Il nous apprend lui-même[1] qu’Héraclite d’Éphèse et Empédocle d’Agrigente concevaient cette oscillation comme aussi ample que possible ; au terme de chaque Grande Année, le Monde entier devait être détruit, réduit en un feu homogène, puis reformé de nouveau.

Aristote ne peut partager une telle opinion. Tout d’abord, en son système, les cieux et les astres sont perpétuels ; l’essence qui les forme est, nous le verrons, exempte de la génération et de la corruption ; ils ne subissent donc pas les vicissitudes que le renouvellement de la Grande Année amène dans le monde sublunaire.

Le monde sublunaire lui-même n’est pas uniquement soumis à cette cause de générations et de destructions alternatives qu’est le mouvement des astres errants ; il subit également l’influence d’un principe de perpétuité, qui est le mouvement diurne de la sphère incrrantc. Ce principe de perpétuité maintient entre de certaines bornes les changements causés par les mouvements des planètes. Les alternatives auxquelles la terre et l’eau sont soumises, tout en modifiant la configuration des continents et des mers, n’atteignent pas aux bouleversements profonds, aux destructions et aux renaissances qu’imaginaient Héraclite et Empédocle.

Aristote gourmande vivement ceux qui croient à une semblable palingénésie ; après avoir signalé quelques déplacements, bien constatés, de la terre ferme et de la mer, il s’écrie[2] :

« Ceux qui ne savent regarder que les petites choses assignent comme cause à ces changements la transformation de l’Univers et, pour ainsi dire, la naissance du Ciel ; aussi prétendent-ils que la mer diminue sans cesse, par cela seul que certains terrains se sont asséchés et qu’on voit aujourd’hui plus de terres émergées que l’on n’en voyait autrefois.

» Mais si leur affirmation est en partie vraie, elle est aussi en

  1. Aristote, De Cœlo, lib. I, ch. X (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 383 ; éd. Bekker, vol. I, p. 279, col. b).
  2. Aristote, Météores, livre I, ch. XIV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. III, p. 572 ; éd. Bekker, vol. I, p. 352, col. a).