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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

ou en une contraction (φθίσις) ; dans le troisième, il prend le nom d’altération (ἀλλοίωσις) ; dans le quatrième, enfin, il se réduit à un transport ou déplacement local (φορά).

À chaque catégorie de l’être correspond ainsi une espèce de changement et, partant, une espèce de mouvement.

Arrêtons-nous un moment à la notion péripatéticienne de mouvement.

Considérons le mouvement par lequel un objet noir devient blanc.

Dans l’objet susceptible de changement, nous pouvons distinguer par abstraction deux qualités contraires ; l’une, le noir, est actuellement réalisée : l’autre, le blanc, est seulement en puissance.

Si nous considérons seulement le blanc comme étant en puissance dans cet objet, nous aurons un objet qui peut blanchir, mais non pas un objet qui blanchit.

Si, au contraire, nous attribuons uniquement au blanc l’existence actuelle, nous aurons un objet devenu blanc, mais pas davantage un objet qui blanchit.

Dans l’objet qui se meut vers la couleur blanche, qui est entrain de blanchir, il nous faut concevoir la blancheur comme existant en acte en l’instant même que nous la concevons comme étant essentiellement en puissance.

Le mot mouvement (ϰίνησις) a pour but d’exprimer cette coexistence simultanée de puissance et d’acte, cette union dont le langage humain ne peut essayer de définir la nature sans décrire un cercle vicieux ; car, toujours et forcément métaphorique, il emprunterait au mouvement même le mot par lequel il essaierait de définir le mouvement[1]. Tel est le sens de la célèbre proposition d’Aristote[2] : « Ἡ τοῦ δυνάμει ὄντος ἐντελέχεια ᾗ τοιοῦτον, ϰίνησίς ἐστιν. » Ou bien encore[3] : « Τὴν τοῦ δυνάμει, ᾗ τοιοῦτόν ἐστιν, ἐνέργειαν λέγω ϰίνησιν. » Cette formule, les Scolastiques l’ont ainsi traduite : Motus est actus entis in potentia, quatenus in potentia est. À notre tour, nous pouvons la paraphraser de la sorte : Le mouvement, c’est l’existence actuelle d’une chose qui est en puissance, en tant qu’elle est en puissance.

La signification du mot mouvement prend ainsi, dans la langue

  1. C’est ce qui a lieu en cette formule souvent reproduite dans les écrits qui exposent la Physique péripatéticienne : Le mouvement est le passage de la puissance à l’acte.
  2. Aristote, Physique, livre III, ch. I (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 273 ; éd. Bekker, vol. I, p. 201, col. a).
  3. Aristote, Métaphysique, livre X, ch. IX (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 594 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1065, col. b).