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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

dit-il, nous affirmons d’une chose qu’elle est ou qu’elle n’est pas, « tantôt nous parlons de l’existence en acte, et tantôt de l’existence en puissanceἘνδέχεται ταὐτὰ λέγειν ϰατὰ τὴν δύναμιν ϰαὶ τὴν ἐνέργειαν. »

Outre le corps qui est blanc, qui est actuellement blanc (ϰατὰ τὴν ἐνέργειαν), il n’y a pas simplement le corps qui n’est pas blanc ; il y a le corps qui, tout en n’étant pas blanc d’une manière actuelle, est susceptible de devenir blanc ; être susceptible de devenir blanc, c’est déjà, pour Aristote, être blanc d’une certaine manière, être blanc en puissance (ϰατὰ τὴν δύναμιν).

La considération de l’existence en puissance fait évanouir le sophisme qui niait la possibilité de tout changement ; le corps qui devient blanc, ce n’est pas, assurément, le corps qui est blanc en acte ; mais ce n’est pas non plus le corps qui, simplement, n’est pas blanc ; c’est le corps qui est blanc en puissance. Ce qui est engendré ne provient ni de l’être en acte ni du non être, mais de l’être en puissance.

La distinction de ces deux manières d’être, l’acte (ἐνέργεια ou ἐντελεχεία) et la puissance (δὺναμις), domine toute la Physique d’Aristote, car, seule, elle rend le changement concevable.


IV
LA MATIÈRE, LA FORME ET LA PRIVATION

Nous allons aborder l’étude de la Physique, c’est-à-dire l’étude de l’être considéré comme capable de changement ou bien encore, selon le sens très général que le mot mouvement prend on la langue d’Aristote, l’étude de l’être mobile.

Cette science ne traitera pas[1] des êtres changeants particuliers tels que le sens nous les fait tout d’abord connaître, sous forme de perceptions extrêmement complexes ; elle portera sur les principes généraux et simples que l’abstraction discernera parmi les données de nos sensations.

Les principes, Aristote nous l’a dit, doivent être homogènes aux choses que la perception nous fait connaître ; aux choses qui sont susceptibles de changement, il faut attribuer des principes qui soient, eux aussi, susceptibles de changement ou, tout au moins,

  1. Aristote, Physique, livre I, ch. I (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 248 ; éd. Bekker, vol. I, p. 184).