Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


connaissance des éléments et des principes. » Toutes les sciences spéculatives, donc, la Mathématique comme la Physique, partiront des données immédiates de la sensation ; mais aucune d’elles, pas plus la Physique que les Mathématiques, ne considérera ces données telles quelles : elles en isoleront toutes, à l’aide de l’abstraction, les sujets simples dont elles veulent raisonner. Or celle-là s’assurera, la plus grande certitude qui aura choisi le sujet le plus simple ; celle qui, aux objets déjà traités par une autre science, ajoutera de nouveaux objets pour en composer ce dont elle entend spéculer, sera moins certaine que la science au-dessus de laquelle elle s’élève par sa complexité. « Car les sciences[1] qui raisonnent d’objets plus simples sont plus certaines que celles qui diffèrent de celles-là par l’addition de nouveaux objets ; ainsi l’Arithmétique est plus certaine que la Géométrie. »

Moins éloignée du sens que la Mathématique, la Physique traite de choses plus compliquées ; ses démonstrations offrent donc moins de rigueur que celles de l’Arithmétique ou de la Géométrie ; si l’on classe les sciences suivant le degré de certitude de leurs conclusions, les théories les plus abstraites l’emporteront en excellence sur les théories moins abstraites : « Une science[2] qui ne porte pas sur les choses soumises à la perception sensible (ὑποκειμένον) est meilleure qu’une science qui traite de telles choses. «

Il arrivera, en effet, que les fondements de la science des choses sensibles, que les principes dont cette science tire, par déduction, des conclusions conformes aux phénomènes, aux apparences que ta perception constate, ne seront pas, eux, des choses dont le sens puisse directement nous assurer. Alors, tout ce que le physicien pourra faire, en un grand nombre de cas, se réduira à montrer que les causes des phénomènes observés peuvent être telles qu’il les a supposées ; il n’aura pas le moyen d’affirmer qu’elles sont, en réalité, conformes aux hypothèses qu’il a faites, ci réclamer de lui une semblable affirmation serait exigence déraisonnable. Aristote, au Traité des Météores, prend soin de nous rappeler ces vérités.

« Lorsqu’il s’agit, dit-il[3], des choses qui sont cachées à la perception sensible, nous estimons on avoir donné une démonstration capable de satisfaire la raison lorsque nous les avons amenées jusqu’à la possibilité. C’est au sujet des phénomènes qui nous occu-

  1. Aristote, loc. cit.
  2. Aristote, Seconds Analytiques, livre I, ch. XXVII [XIX] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. I, p. 149 ; éd. Bekker, vol. I, p. 87, col. a).
  3. Aristote, Météores, livre I, ch. VII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. III, p. 560 ; éd. Bekker, vol. I, p. 344, col. b).