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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE

« Un homme[1], en tant qu’homme, est un et indivisible. L’arithméticien pose qu’il est une unité indivisible et il considère ce qui arrive à cet homme en tant qu’il est un indivisible. Le géomètre, à son tour, le considère non pas en tant qu’homme, ni en tant qu’il est indivisible, mais en tant qu’il est un solide. »

« Il est donc évident que les raisonnements et les démonstrations du mathématicien[2] portent sur les grandeurs sensibles, non point qu’elles y soient considérées comme sensibles, mais seulement comme grandeurs.

» De même, de nombreux raisonnements ont été faits touchant les corps en mouvement, en tant seulement qu’ils sont en mouvement, sans que l’on y considère ce qu’est chacun de ces corps et ce que sont les accidents qui leur advicnnent. Il n’est nullement nécessaire, pour cela, qu’il existe quelque mobile sépare de ceux qui tombent, sous les sens ni qu’il existe, dans ces corps sensibles, quelque nature qui en soit distincte. »

Ainsi le géomètre pourra spéculer d’une manière abstraite sur les mouvements des cieux, sans que les cieux sur lesquels il raisonne soient des êtres réellement distincts des cieux que l’astronome observe. « Les objets que l’Astronomie considère[3] sont, en effet, hors des choses sensibles, exactement de la même manière que les objets au sujet desquels la Géométrie raisonne. »

Si l’on veut, à côté des choses sensibles et corruptibles, poser des idées éternelles, accessibles à la seule intuition, et qui seraient seules objets de science, on aboutit à des absurdités. « Il est absurde[4] de prétendre qu’il existe des substances autres que celles qui sont au Ciel, et que ces substances sont identiques à celles qui tombent sous les sens, à cela près que ces dernières sont corruptibles tandis que les premières sont éternelles. « Pour Aristote, ce sont les cieux visibles qui sont en même temps les cieux incorruptibles et éternels.

On ne se heurte pas à de moindres difficultés lorsqu’entre les objets de la perception sensible et les idées accessibles à la seule intuition, on pose comme réels certains êtres intermédiaires, connus seulement par le raisonnement mathématique. Imaginons qu’entre les cieux idéaux et les cieux sensibles, il y ait des réalités inter-

  1. Aristote, loc. cit., (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 614 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1078, col. a).
  2. Aristote, loc. cit., (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 613 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1077, col. ba).
  3. Aristote, Métaphysique, livre XII, ch. II (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 612 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1077, col. a).
  4. Aristote, Métaphysique, livre II, ch. II (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, pp. 491-492 ; éd. Bekker, vol. II, p. 997, col. b).