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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

qui donne l’explication, le τὸ διότι de cette réalité à l’aide de déductions mathématiques issues de principes généraux, cette subordination, disons-nous, peut, quelquefois, présenter divers degrés, De même qu’en chaque branche de la Physique, la science d’observation, chargée de reconnaître la réalité des faits, se trouve subordonnée à une science mathématique qui a mission de les expliquer, de même peut-il arriver qu’une doctrine physique, où la réalité a déjà reçu l’explication que la théorie mathématique lui doit, serve, à son tour, à expliquer des observations portant sur de nouvelles réalités : « La subordination que l’Optique présente par rapport à la Géométrie, une autre doctrine la présente par rapport à l’Optique, savoir, la doctrine qui traite de l’arc-en-ciel ; en cette doctrine, en effet, il appartient au physicien d’observer ce qui est en réalité, τὸ ὅτι : à celui qui traite d’Optique, il appartient d’en donner l’explication, τὸ διότι, soit à l’aide des principes qui lui sont propres, soit à l’aide de ceux qu’il emprunte aux Mathématiques. »

Toujours, en ces théories de la Physique où l’on fait usage des Mathématiques, c’est la perception sensible qui, seule, connaît de la réalité.

Il n’est donc pas juste de dire, avec les Platoniciens, que le géomètre saisit une réalité qui échappe à la perception sensible, que le mathématicien découvre les mouvements réels des astres, tandis que les apparences constatées par l’observateur sont dépourvues de réalité ; bien au contraire, c’est l’astronome observateur qui voit les mouvements réels, tandis que, pour étudier ces mouvements, le géomètre les dépouille par abstraction de la réalité dont ils sont doués.

À maintes reprises, Aristote insiste sur cette vérité que les objets de la spéculation mathématique n’ont aucune réalité hors des choses qui tombent sous les sens, qu’ils ne constituent pas des êtres séparés de ceux que la perception sensible nous fait connaître. « En général, dit-il[1], les Mathématiques n’étudient pas les nombres et les grandeurs d’êtres séparés de la matière, mais bien les nombres et les grandeurs des êtres que nous avons sous les yeux, non point qu’elles considèrent ces êtres en tant qu’ils sont sensibles, mais seulement en tant qu’ils ont une grandeur ou qu’ils sont distincts les uns des autres[2] ».

  1. Aristote, Métaphysique, livre XII, ch. III (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 613 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1077, col. b).
  2. Οὐχ ᾗ δὲ τοιαῦτα [, ἀλλ'] οἶα ἔχειν μέγεθως ἢ εἶναι διαιρετά. Ce que nous avons mis entre [] est omis dans le texte que nous avons sous les yeux, au détriment du sens, nous semble-t-il.