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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


par abstraction, dépouillés de toute qualité sensible autre que la grandeur et la continuité, mais encore, en les étudiant, le mathématicien n’examine pas s’ils sont ou non doués d’une existence réelle, « Lorsque le mathématicien[1] considère quelque partie du sujet qui lui est propre, lorsqu’il raisonne, par exemple, sur les lignes ou sur les angles ou sur les nombres ou sur telles autres grandeurs, il n’étudie pas ces objets en tant qu’existants, mais en tant que chacun d’eux est continu suivant une ou doux ou trois dimensions. »

La Mathématique ne traite donc pas d’autres êtres, et doués de plus de réalité, que ceux dont traite la Physique. Ces deux sciences considèrent les mêmes êtres, mais elles les considèrent à des points de vue différente.

C’est par cette différence de point de vue[2] que des sciences, habituellement regardées comme mathématiques, mais qui sont, bien plutôt, des sciences physiques, savoir la Perspective (c’est-à-dire l’Optique), la Musique et l’Astronomie, s’opposent, en quelque sorte, à une science purement mathématique, telle que la Géométrie. « La ligne que considère la Géométrie est une ligne naturelle ; mais la Géométrie ne l’étudie pas en tant que réalisée dans la nature ; la ligne que, de son côté, considère la Perspective est une ligne mathématique ; mais la Perspective ne l’étudie pas en tant que mathématique ; elle l’étudie en tant que naturelle. »

Des réflexions semblables peuvent être faites au sujet de l’Astronomie qui, en dépit de sa forme géométrique, demeure une science physique. « C’est assurément au physicien[3] qu’il appartient de savoir quelle est la nature du Soleil, quelle de la Lune ; partant, il serait absurde de prétendre qu’il ne doit rien savoir des accidents qui leur arrivent en vertu de leur nature ; aussi voit-on ceux qui raisonnent sur la nature, raisonner également sur la figure du Soleil et de la Lune, examiner si la Terre et le Monde sont sphériques ou non. Le mathématicien traite aussi de ces

  1. Aristote, Métaphysique, livre X, ch. IV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 588 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1061, col. b).
  2. Aristote, Physique, livre II, ch. II (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 263 ; éd. Bekker, vol. I, p. 194, col. b). — Ailleurs [Aristote, Métaphysique, livre XII, ch. III (Aristotelis Opera, (éd. Didot, t. II, p. 614 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1078, col. a))]. Aristote place l’Harmonie et la Perspective au nombre des sciences mathématiques : « Ni l’une ni l’autre, dit-il, ne raisonne sur la vue ou sur la voix en tant que telles, mais sur des lignes et des nombres en tant que lignes et nombres ; ce sont là, en effet, les sujets qui leur sont propres ». Un peu avant [Métaphysique livre XII, ch. II (éd. Didot, t. II, p, 612 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1077, col. a)], il avait assimilé l’Astronomie à la Géométrie.
  3. Aristote, loc. cit. (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 262 ; éd. Bekker, vol. I, p. 193, col. b).