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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


parablement plus élevé que la perception sensible, par laquelle il connaît les choses soumises à la naissance, au changement et à la mort.

Cette opposition entre la faculté par laquelle nous acquérons la connaissance des êtres corruptibles et celle par laquelle nous atteignons la science des choses divines, Aristote la proscrit absolument. La Philosophie première s’élève au-dessus de la Physique par la généralité de l’objet qu’elle considère, non par la méthode qu’elle suit pour parvenir à connaître cet objet. Elle se distingue de la Physique[1] de la même manière que les Mathématiques se distinguent de cette science, par une abstraction poussée plus loin.

Les Mathématiques considèrent les mêmes êtres que la Physique ; mais, en ces êtres, elles suppriment tout ce qui est sensible, la gravité ou la légèreté, la dureté ou la mollesse, le chaud ou le froid, pour n’y plus considérer que la grandeur et la continuité ; par cette abstraction, elles constituent l’objet propre de leur spéculation. De même, la Physique, étudie les êtres et leurs principes non pas en tant qu’êtres, mais en tant qu’ils sont mobiles, qu’ils sont sujets au changement, qu’ils peuvent s’engendrer ou périr. Par une abstraction plus radicale, la Philosophie première délaisse en ces êtres tout ce qui est génération, modification, corruption ; purement et simplement, elle les considère en tant qu’êtres et, par là, s’élève à la connaissance générale de l’être

Visiblement, lu Physique est la science dont l’abstraction tirera les autres doctrines spéculatives. Or, la Physique est dominée par la perception sensible. Non seulement la perception sensible est le point de départ de la Physique, mais elle en est encore la fin. La Physique ne se contente pas de tirer ses principes des données que les sens lui fournissent ; elle choisit aussi ses principes de telle manière que les conséquences qui en découlent continuent à s’accorder avec le témoignage des sens. Écoutons en quels termes[2] Aristote gourmande les Platoniciens qui ne consentent pas à suivre cette méthode et refusent d’emprunter aucun principe à l’expérience des sens :

« Lorsqu’ils discourent de ce qui appareil aux sens, il leur arrive de dire des choses qui île s’accordent nullement avec ce que l’on constate. Le cause en est qu’ils ne choisissent pas convenable-

  1. Aristote, Métaphysique, livre X, ch. III et ch. IV] (Aristotelis Opera, éd. Didot, 588 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1027).
  2. Aristote, De Cœlo, livre III, cap. VII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 421 ; éd. Bekker, vol. I, p. 306, col. a).