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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


Οὐσία ἐν ᾗ ἡ ἀρχὴ τῆς ϰινήσεως ϰαὶ στάσεως ἐν αὐτῇ. » « Ses spéculations auront pour objet l’être qui peut être mû — Θεωρητιϰὴ περὶ τοιοῦτον ὂν ὅ ἐστι δυνατὸν ϰινεῖσθαι. »

Mais, en affirmant ainsi que l’objet de la Physique, c’est l’être mobile par essence, c’est-à-dire, au sens très général que le terme mobile prend en la Philosophie d’Aristote, l’être dont la substance est sujette au changement, ou ne définirait pas d’une manière assez précise la nouvelle science ; la Mathématique, en effet, peut, elle aussi, étudier l’être mobile. Afin de séparer sans ambiguïté possible la Physique de la Mathématique, nous marquerons la première discipline d’un nouveau caractère ; l’essence qu’elle étudiera ne sera pas seulement mobile ; bien qu’en général concevable par la raison, elle sera inséparable de la matière : « Θεωρητιϰὴ περὶ τοιοῦτον ὂν ὅ ἐστι δυνατὸν ϰινεῖσθαι, ϰαὶ περὶ οὐσίαν τὴν ϰατὰ τὸν λόγον ὡς ἐπὶ τὸ πολύ, οὐ χωριστὴν μόνον. » À la différence de la Géométrie, dont les spéculations peuvent porter sur des objets mobiles, mais qui sont alors séparés de toute matière, les objets mobiles que la Physique considère sont étudiés non comme des êtres séparés, mais comme des êtres qui résident en la matière et lui sont unis : Οὐ χωριστὰ, ἀλλ' ὡς ἐν ὕλῃ.

Si donc il n’existait pas d’autres êtres que ceux qui sont inséparables de la matière et sujets au changement, la Physique serait la première des Sciences. Mais il est un être immobile, immuable, éternel, distinct de la matière. Cet être est l’objet d’une science supérieure à la Physique, de la Science des choses divines. Cette science, ainsi définie par son objet, Aristote la nomme[1] la Théologie ou la Philosophie première.

Tandis que la Physique étudie l’être en tant qu’il est sujet au changement, en tant qu’il réside en la matière, la Philosophie première s’élève à un point de vue beaucoup plus général ; elle étudie[2] l’être non plus en tant que matériel et mobile, mais simplement en tant qu’être ; elle examine ce que c’est que l’être, elle recherche ce qui se trouve nécessairement en tout être : « Περὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ταύτης ἂν εἴη θεωρῆσαι, ϰαὶ τί ἐστι ϰαὶ τὰ ὑπάρχοντα ᾗ ὂν. »

Platon, lui aussi, admettait l’existence d’une Science des choses divines, d’une Théologie, d’une contemplation du Bien suprême. Mais, pour atteindre à cette contemplation, l’esprit devait recourir à l’intuition ; il devait user d’un mode de connaissance incom-

  1. Aristote, loc. cit., (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 535 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1026, col. a).
  2. Aristote, loc. cit. Cf. : Métaphysique, livre X, ch. III et IV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 588 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1027).