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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


sique[1], et pour déterminer les rapports de cette science avec les deux autres brandies de la Philosophie spéculative, avec la Mathématique et la Théologie.

S’il n’y a de science que des réalités, et si toute réalité est nécessairement immuable, il n’y a de science que des choses immuables ; la Mathématique, étude des propriétés invariables des nombres et des figures, et la Théologie, contemplation intuitive des idées éternelles, étaient les deux seules sciences qu’un platonicien pût reconnaître ; par un audacieux renversement des dogmes les plus essentiels du Platonisme, Aristote définit une troisième science, la Physique.

Dans les choses, Platon avait distingué entre les accidents et les principes. Les accidents, qui sont seuls soumis à la perception sensible, sont perpétuellement changeants ; ils sont sujets à la génération et à la destruction. Les principes sont permanents, ils ne naissent point et ne meurent point ; ils sont figures, accessibles au raisonnement géométrique, et idées, objets d’intuition.

Cette théorie de son maître, Aristote la combat sans relâche. « Il n’est rien qui soit corruptible par l’accident[2]. L’accident, en effet, c’est ce qui peut ne pas être ; la corruptibilité, au contraire, résulte des propriétés qui appartiennent nécessairement aux choses où cette corruptibilité existe ; sinon, une même chose pourrait être tantôt corruptible, et tantôt incorruptible lorsque ce par quoi elle est corruptible se trouverait ne pas exister en elle. Il faut donc qu’en chacune des choses corruptibles, la substance même soit corruptible, ou que la corruptibilité réside en la substance. On peut répéter le même discours touchant les choses incorruptibles. »

Aux êtres incorruptibles donc, mais à ceux-là seulement, il convient d’attribuer des principes incorruptibles ; aux choses qui sont sujettes à la naissance, à la transmutation et à la mort, des principes qui naissent, changent et meurent avec elles. C’est une grave

  1. La connaissance de la Physique d’Aristote se tire surtout des écrits suivants :

    1o Les huit livres de la Physique (Φυσιϰὴ ἀϰρόασις, physica auscultatio) ;

    2o Les quatre livres du Traité du Ciel (Περὶ Οὐρανου, De Cœlo) ;

    3o Les deux livres du Traité de la génération et de la destruction [des substances] (Περὶ γενέσεως ϰαὶ φθορᾶς, De generatione et corruptione).

    4o La Science des météores (Μετεωρολογιϰά), composée de quatre livres dont le dernier est d’une authenticité douteuse).

    5o Les treize livres qu’Aristote désignait comme traitant De la philosophie première (Περὶ τῆς πρώτης φιλοσοφίας) et que, depuis Nicolas de Damas, on désigne sous le nom de Métaphysique (Μετὰ τὰ φυσιϰά).

  2. Aristote, Métaphysique, livre IX, ch. X (Aristotelis Opera, éd, Firmin-Didot, t. II, p. 184 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1059, cal. a).