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LA COSMOGÉNIE DE PLATON

Le degré suprême est celui de l’intelligence pure (νόησις) ; l’intelligence pure contemple les espèces éternelles et, par-dessus toutes les autres, l’espèce du souverain Bien.

Par l’union de l’intelligence pure et de la connaissance sensible se produit, une sorte de raisonnement croisé et bâtard (λογισμὸς νόθος) qui occupe le degré intermédiaire ; la connaissance née de ce raisonnement, c’est la connaissance géométrique. Cette connaissance atteint des propositions qui sont précises et permanentes, partant qui sont vraies ; elle contemple des figures exactes, elle détermine des rapports fixes. En accoutumant l’esprit à la méditation des choses qui sont, et non pas à la vue des choses qui passent, elle le prépare à participer de la νόησις qui, seule, lui révélera les espèces éternelles.

À ces trois degrés de la connaissance correspondent trois degrés de la Science astronomique.

La perception sensible, l’αἴσθησις, engendre l’Astronomie d’observation. En suivant des yeux le cours des astres, celle-ci leur voit suivre un chemin incessamment variable dont les entrelacs enchevêtrés ne sauraient donner à l’arithméticien aucun rapport commensurable, au géomètre aucune figure définie.

À l’Astronomie d’observation, qui n’est pas une Astronomie véritable, la Géométrie fait succéder une Astronomie capable de connaître des figures précises, des rapports invariables, partant des réalités ; à la marche errante que l’Astronomie d’observation attribuait aux planètes, l’Astronomie véritable substitue les mouvements simples et fixes, partant vrais, dont la composition produit ces apparences compliquées et variables, partant fausses.

Préparé par l’étude des réalités permanentes, le véritable astronome devient, en quelque mesure, participant de la Raison (Λόγος) divine ; il accède à la νόησις qui lui révèle une troisième et suprême Astronomie, l’Astronomie théologique ; dans la fixité des mouvements célestes, il voit une preuve de l’existence des esprits divins qui sont unis aux corps des astres ; les Lois reconnues par l’Astronomie géométrique lui enseignent comment les dieux veulent être honorés.

Voilà pourquoi le jeune homme doit étudier les théories les plus élevées de l’Arithmétique, de la Géométrie, de l’Astronomie ; en ruinant les préjugés de l’Astronomie d’observation, en leur substituant les lois exactes et éternelles du mouvement des astres, l’Astronomie véritable l’empêche de porter sur les dieux du Ciel des jugements faux et sacrilèges qui seraient néfastes à la cité.