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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

« Il existe encore trois autres mouvements qui marchent vers la droite [d’Occident en Orient] comme la Lune et le Soleil, il faut dire, en outre, qu’il en existe un huitième, que certains désignent de préférence aux autres mouvements, connue étant le Ciel supérieur : celui-ci se meut en sens contraire de tous les autres ; il conduit les autres comme une troupe (ἄγων τοὺς ἄλλους), ainsi qu’il semble aux hommes qui connaissent peu ces choses[1]. Pour nous, il est nécessaire que nous parlions seulement des choses que nous connaissons suffisamment ; et, en effet, nous ne parlons que de celles-là ; car la sagesse réelle se manifeste en quelque manière à celui qui participe, ne fût-ce que dans une faible mesure, de la droite et divine Intelligence. »

Par cette participation, donc, à l’Intelligence divine, celui qui a étudié la véritable Astronomie, l’Astronomie géométrique, accède à la connaissance des esprits divins qui sont unis aux corps des astres. Il évite de les ranger suivant l’injuste et injurieuse hiérarchie que la seule connaissance acquise par les sens leur eût attribuée ; il se garde de répéter à l’égard du Soleil, de la Lune, d’autres dieux puissants, les mensonges que profère le vulgaire[2] lorsqu’il les accuse de suivre une marche errante. Ainsi, cette Astronomie géométrique est[3] « une belle science et véritable, utile à l’État et agréable aux dieux ». L’Astronomie géométrique aboutit à la Théologie.

Il semble que nous possédions maintenant, dans sa plénitude, la pensée de Platon touchant la Science astronomique.

Dans la connaissance il y a trois degrés.

Le degré inférieur est celui de la connaissance par les sens (αἴσθησις) ; elle perçoit ce qui naît et ce qui meurt, ce qui change et passe sans cesse ; elle ne saisit rien de permanent, rien qui soit toujours, partant rien qui mérite d’être appelé vrai.

  1. G. Schiaparelli (I Precursori di Copernico nell’ Antichità, pp. 400-401. pense que cette phrase : « ainsi qu’il semble aux hommes qui connaissent peu ces choses », porte sur tout ce que Platon vient de dire du huitième mouvement ; il y voit l’affirmation que ce huitième mouvement n’existe pas « pour les hommes qui connaissent ces choses », et, partant, la preuve que Platon, à la fin de sa vie, croyait à la rotation diurne de la Terre. Mais nous pensons que la comparaison avec ce qui précède donne à cette phrase un tout autre sens ; ce qui est le fait des hommes ignorants de la véritable Astronomie, ce n’est pas de croire au mouvement des étoiles fixes, mais de penser que ce mouvement « mène les autres ». Nous ne devons, à aucune des puissances célestes, attribuer la prééminence sur les autres ; elles sont toutes sœurs. Et, en effet, ceux qui, à la fin de la vie de Platon et au temps de Philippe d’Oponte, connaissaient la véritable Astronomie, c’étaient Eudoxe et ses élèves ; et, pour Eudoxe, nous le verrons au Chapitre suivant, le mouvement diurne de chacun des astres errants ne lui était nullement imprimé par la sphère des étoiles fixes ; il était produit par une sphère particulière à cet astre.
  2. Platon, Les Lois, livre VII, 821 ; éd. cit., p. 399.
  3. Platon, ibid.