Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Dieux ou images des dieux[1], animés et doués de raison, les astres sont dignes des honneurs divins, et il en est de même des génies invisibles qui vivent au sein de l’éther et des êtres vivants qui peuplent l’air. Tous ces dieux se rangent suivant une hiérarchie que leur origine même détermine. « Jupiter, Junon et les autres dieux, qu’on les range dans l’ordre qu’on voudra ; mais, ici, qu’on prescrive une loi, toujours la même, et qu’une règle invariable soit gardée ; que les dieux visibles soient tenus pour les plus grands, pour les plus dignes d’honneur, pour ceux dont la vue pénètre le plus profondément en toutes choses ; il nous faut donc déclarer que les premiers des dieux sont [les êtres qui possèdent] la nature des astres et toutes les choses sensibles qui ont été engendrées en même temps qu’eux ; avec ceux-là et après eux, viennent les génies [de nature éthérée] ; les êtres vivants de l’espèce aérienne » tiendront le troisième rang dans nos honneurs et nos prières.

Ainsi la Physique, en distinguant les diverses sortes d’éléments, nous révèle par là-même quelle hiérarchie est établie entre les êtres supérieurs qui peuplent ces éléments. Mais entre les dieux du premier ordre, entre ceux qui s’identifient avec les astres ou qui, tout au moins, ont les astres pour images, existe-t-il une hiérarchie et nous est-il donné de la connaître ?

Assurément, cette hiérarchie, c’est à l’Astronomie de nous la révéler. Mais nations pas en demander la connaissance à l’Astronomie d’observation, à celle qui ne perçoit que les apparences ; elle ne pourra que nous induire en une erreur injurieuse pour les dieux auxquels elle nous fera attribuer des rangs qui ne sont pas les leurs.

« La planète qui est la plus rapide de toutes, elle nous la fait à tort prendre pour la plus lente et vice versa[2]. Il arrive donc en procédant ainsi… ce qui arriverait si, à Olympie, nous voyions lutter entre eux des coureurs à cheval ou des coureurs en char, et si, par une appréciation semblable, nous nommions le plus rapide celui qui a couru le moins vite et le plus lent celui qui a été le plus rapide ; si, après cela, nous composions un panégyrique, nous y célébrerions le vaincu à la place du vainqueur ; cela ne serait pas juste, et je pense que l’ordre qui leur serait attribué par notre panégyrique ne serait point agréable aux coureurs ; ceux-ci ne sont cependant que des hommes ; alors que nous commettons la même faute à l’égard des dieux, ne penserons-nous pas

  1. Platon, Épinomide, 984 ; éd. cit., p. 510.
  2. Platon, Les Lois, 822 ; éd. cit., pp. 399-400.