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LA COSMOLOGIE DE PLATON


le Soleil et la Lune faire de même ; et, d’ailleurs, nous en sommes tous d’accord. »

Voilà l’erreur que la véritable Astronomie doit dissiper, afin que nous puissions reconnaître l’intelligence dont sont doués les corps célestes ; voilà l’erreur contre laquelle l’Hôte athénien met en garde[1] ses interlocuteurs Mégille et Clinias : « Ce qu’on pense ainsi du Soleil, de la Lune et des autres étoiles n’est pas, mes chers amis, une doctrine saine. Jamais ces astres n’errent ; leur cours est tout l’opposé d’une marche errante ; chacun d’eux parcourt sa voie propre ; il ne décrit pas des cercles multiples, mais bien un cercle unique ; c’est seulement en apparence qu’il décrit des cercles multiples ; celui de ces astres qui marche le plus vite, nous le regardons à tort comme le plus lent, et vice versa[2]. »

La régularité du mouvement des astres établie par la véritable Astronomie nous apprend[3] donc qu’à chaque étoile, à chaque planète, il faut attribuer une âme intelligente qui la meut avec cette fixité admirable. « Nier que les choses du Ciel soient formées de l’union d’un corps et d’une âme, ce serait grande folie et grande déraison. »

Nous aurons, d’ailleurs, une haute idée de la puissance de ces âmes astrales si nous songeons à la grandeur des corps qu’elles vivifient, « On peut très raisonnablement penser que le Soleil est plus grand que la Terre, et tous les astres qui se meuvent dans le Ciel sont certainement d’une grandeur extraordinaire. Cherchons donc de quelle manière une telle masse peut être mue en cercle, par nature, en un temps toujours égal à celui qu’elle emploie maintenant à parcourir son orbite. Je dis que cela doit avoir un dieu pour cause, et que d’aucune manière, cela ne saurait être produit autrement que par un dieu. »

Nous devons donc regarder les astres comme des êtres divins. « Il nous faut, en effet, à leur sujet, choisir entre ces deux affirmations : Ou bien nous devons très formellement déclarer qu’ils sont dieux ; ou bien nous devons les regarder comme des images et des statues des dieux, faites par les dieux eux-mêmes ».

  1. Platon, Les Lois, livre VII, 822 ; éd. cit. p. 399.
  2. En cette affirmation : Le plus rapide de ces astres, nous le regardons à tort comme le plus lent (τὸ δὲ τάχιστον αὐτῶν ὂν βραδύτατον οὐϰ ὀρθῶς αὖ δοξαζέται), Gruppe (Die kosmischen Systeme der Griechen, pp 158 sqq.) et G. Schiaparelli (I precursori di Copernico nell’ Antichità, loc. cit., pp. 399-403) ont voulu trouver la preuve que Platon croyait au mouvement de la Terre, le corps qui est réputé le plus lent ; mais il est évident que les corps visés en cette phrase et désignés par αὐτῶν sont uniquement ceux dont il a été question jusque-là dans la conversation de l’Hôte athénien, de Mégille et de Clinias, c’est-à-dire le Soleil, la Lune et les planètes.
  3. Platon, Épinomide, 983 (éd. cit., p. 509).