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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


vement du Soleil. Ce que la vue perçoit, en ce mouvement, c’est une trajectoire compliquée ; l’arc de cette trajectoire, très peu différent d’un arc de cercle, change chaque jour, de manière à former une spirale qui, d’un tropique à l’autre, s’enroule sur la sphère céleste ; ce que la vue a reconnu ainsi est vrai, assurément, mais d’une vérité inférieure, accessible à la connaissance qui vient par les sens. La Géométrie va bien au delà ; son raisonnement découvre ce que la vue n’aurait pu reconnaître ; débrouillant l’enroulement compliqué de la spirale où la seule observation voyait la trajectoire du Soleil, elle y reconnaît le résultat de la composition de deux rotations uniformes ; en saisissant cette loi simple, elle atteint une vérité d’un autre ordre que celle dont les yeux avaient eu la perception, une vérité qui est seule digne de ce nom. C’est ce que Socrate va déclarer à Glaucon :

« Ces mouvements compliqués et variés (ποιϰίλματα) qui se produisent dans le Ciel, en tant que leur complexité est dans le domaine des choses visibles, se comportent comme les plus belles et les plus exactes de ces choses ; mais ils sont de beaucoup inférieurs aux mouvements véritables ; ces mouvements véritables sont mus les uns à l’égard des autres et meuvent les corps qu’ils entraînent avec une vitesse réelle ou une lenteur réelle, mesurée par un nombre vrai, et selon des figures (qui sont toutes véritables ; ces mouvements véritables, le raisonnement et l’intelligence (λόγος ϰαὶ διάνοια) peuvent les saisir, mais la vue ne le peut. Comprends-tu ? » — « Pas du tout », répond l’excellent Glaucon.

Socrate, alors, pour mieux éclairer sa pensée, recourt à une comparaison :

« Supposons que les yeux d’un homme viennent à rencontrer des figures d’un contour très compliqué, qu’un Dédale ou quelque autre ingénieur aurait tracées au moyen de gabarits dessinés et combinés. Si l’homme qui voit ces figures est expérimenté en Géométrie, il jugerait qu’elles sont d’une fort habile composition ; mais il trouverait plaisant celui qui considérerait ces entrelacs avec grande attention, espérant y saisir quelque relation exacte d’égalité, de proportion double ou de tout autre rapport commensurable (συμμετρία)… Celui qui est réellement astronome ne traitera-t-il pas de même celui qui se contente de regarder avec les yeux les mouvements des astres ? »

Le peu subtil Glaucon a-t-il compris, maintenant la pensée de Socrate ? Cette pensée, en tous cas, nous est désormais manifeste. La véritable Astronomie est celle qui, à l’aide du raisonnement géométrique, découvre les combinaisons cinématiques simples dont