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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


mide, Platon montre comment l’Astronomie doit être étudiée et, enseignée si l’on veut que cette étude et cet enseignement soient utiles à la Cité. De ces trois textes, il convient de commenter ici la pensée.

Commençons par celui qui se lit au second livre de la République.

Socrate converse avec Glaucon ; ils passent en revue les diverses sciences, et Socrate montre à son interlocuteur quelles sont celles qu’il convient d’étudier et comment il convient de les étudier. Écoutons-les, tout d’abord parler de la Géométrie[1] :

Convient-il d’enseigner la Géométrie aux jeunes gens ? Assurément, dit Glaucon, car la Géométrie est fort utile à celui qui veut connaître la Stratégie. Mais, à cet objet tout pratique, observe Socrate, suffisent de bien minces notions d’Arithmétique et de Géométrie ; ce n’est pas pour un tel but que le Père de la Philosophie songerait à faire apprendre aux jeunes gens les doctrines élevées de la Science des nombres et des figures. « Il nous faut examiner si la plus grande partie de cette Science, celle qui s’avance le plus loin, est propre à rendre plus aisée la contemplation de l’idée du Bien. Or, à notre avis, sont propres à cet objet toutes les études qui contraignent l’âme de se tourner vers le lieu où réside ce qu’en l’être, il y a de plus heureux, ce que, de toute manière, l’âme a besoin de connaître… Si donc la Géométrie nous force à contempler l’essence [éternelle], il convient de l’étudier ; si elle nous conduit à considérer ce qui s’engendre et passe, il ne convient pas de s’y adonner… Partant, il faut s’adonner à cette science en vue de connaître ce qui est éternel (τοῦ ἀεὶ ὄντος) et non pas en vue de connaître ce qui est engendré aujourd’hui et périra demain (τοῦ ποτέ τι γιγνομένου ϰαὶ ἀπολλυμένου) ». — « Je l’accorde bien volontiers », dit Glaucon, « car la Géométrie est la connaissance de ce qui est éternel (τοῦ ἀεὶ ὄντος ἡ γεωμετριϰη γνῶσις ἐστιν) ». — « Elle entraînera donc l’âme vers la vérité », reprend Socrate, « elle produira une connaissance digne du philosophe, en le forçant à tenir élevées les pensées que nous laissons, contrairement à ce qu’il faut, dirigées vers le bas. »

Ainsi l’objet de la Géométrie, c’est, en nous contraignant de méditer les propriétés immuables des figures, de préparer nos âmes à la contemplation du souverain Bien. Entre la perception sensible capable seulement des choses qui naissent, et qui meurent, des choses soumises au perpétuel changement, et la contem-

  1. Platon, La République, livre VII, 526-527 (Platonis Opera. Ex recensione Schneideri ; Parisiis, A.-Firmin Didot, 1846 ; vol. II, pp. 132-133).