Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
l’objet de la théorie physique

simplicité et de l’ordre dans l’expression des phénomènes, avant qu’il soit possible de faire aucun progrès dans la construction d’une théorie abstraite ». Nous avons vu, au paragraphe précédent, que cette affirmation n’était guère confirmée par l’histoire des théories physiques ; nous aurons occasion de la discuter à nouveau au Chapitre iv, § 9.

Vers le milieu du xixe siècle, les théories hypothétiques, celles qui se donnaient pour des explications plus ou moins probables des phénomènes, se sont extraordinairement multipliées ; le bruit de leurs luttes et le fracas de leurs chutes ont lassé les physiciens et les ont peu à peu ramenés aux saines doctrines que Newton avait exprimées avec tant de force ; renouant la tradition interrompue, M. Ernst Mach[1] a défini la physique théorique comme une représentation abstraite et condensée des phénomènes naturels ; G. Kirchhoff[2] a donné comme objet à la Mécanique « de décrire le plus complètement et le plus simplement possible les mouvements qui se produisent dans la nature ».

Si donc quelques très grands physiciens ont pu s’enorgueillir de la puissante méthode qu’ils employaient, au point d’en exagérer la portée, s’ils ont pu croire que leurs théories découvriraient la nature métaphysique des choses, beaucoup des inventeurs qui ravissent notre admiration ont été plus modestes et

  1. E. Mach : Die Gestalten der Flüssigkeit. Prag, 1872 ; — Die ökonomische Natur der physikalischen Forschung. Vienne, 1882 ; — Die Mechanik in ihrer Entwickelung, historisch-kritisch dargestellt. Leipzig, 1883. Ce dernier ouvrage a été traduit en français par M. Bertrand sous le titre : La Mécanique ; exposé historique et critique de son développement, Paris, 1904.
  2. G. Kirchhoff : Vorlesungen über mathematische Physik ; Mechanik. Leipzig, 1874, p. 1.