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l’objet de la théorie physique

choses, ne serait-il pas plus sensé de tenter d’expliquer ces lois, de dévoiler ces choses cachées ? N’est-ce pas ainsi, d’ailleurs, qu’ont procédé les maîtres de la science ? N’est-ce pas en s’efforçant vers l’explication des phénomènes physiques qu’ils ont créé ces théories fécondes dont les saisissantes divinations provoquent notre étonnement ? Qu’avons-nous de mieux à faire que d’imiter leur exemple et que de revenir aux méthodes condamnées en notre premier Chapitre ?

Que plusieurs des génies auxquels nous devons la Physique moderne aient construit leurs théories dans l’espoir de donner une explication des phénomènes naturels, que quelques-uns même aient cru avoir saisi cette explication, cela n’est pas douteux ; mais cela non plus n’a rien de concluant contre l’opinion que nous avons exposée au sujet des théories physiques. Des espoirs chimériques ont pu provoquer d’admirables inventions sans que ces inventions donnent corps aux chimères qui les ont fait naître. D’audacieuses explorations, qui ont grandement contribué au progrès de la géographie, sont dues à des aventuriers qui cherchaient le pays doré ; ce n’est pas une raison suffisante pour faire figurer l’Eldorado sur nos planisphères.

Si donc on veut prouver que la recherche des explications est une méthode vraiment féconde en Physique, il ne suffit pas de prouver que bon nombre de théories ont été créées par des penseurs qui s’efforçaient vers de telles explications ; il faut prouver que la recherche de l’explication est bien le fil d’Ariane qui les a conduits au milieu de la confusion des lois physiques et qui leur a permis de tracer le plan de ce labyrinthe.