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THÉORIE PHYSIQUE ET CLASSIFICATION NATURELLE

hasard, en l’espoir duquel nous serions bien fous de risquer notre enjeu.

Si, au contraire, nous reconnaissons en la théorie une classification naturelle, si nous sentons que ses principes expriment entre les choses des rapports profonds et véritables, nous ne nous étonnerons pas de voir ses conséquences devancer l’expérience et provoquer la découverte de lois nouvelles ; hardiment, nous parierons en sa faveur.

Demander à une classification de marquer par avance leur place à des êtres que l’avenir seul découvrira, c’est donc, au plus haut degré, déclarer que nous tenons cette classification pour naturelle ; et lorsque l’expérience vient confirmer les prévisions de notre théorie, nous sentons se fortifier en nous cette conviction que les relations établies par notre raison entre des notions abstraites correspondent vraiment à des rapports entre les choses.

Ainsi la moderne notation chimique, en s’aidant des formules développées, établit une classification où se rangent les divers composés. L’ordre merveilleux que cette classification met dans le formidable arsenal de la Chimie nous assure déjà qu’elle n’est pas un système purement artificiel ; les liens d’analogie et de dérivation par substitution qu’elle établit entre les divers composés n’ont de sens que dans notre esprit ; et, cependant, nous sommes persuadés qu’ils correspondent, entre les substances mêmes, à des relations de parenté dont la nature nous demeure profondément cachée, mais dont la réalité ne nous semble pas douteuse. Néanmoins, pour que cette persuasion se change en une invincible certitude, il faut que nous