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la structure de la théorie physique

laquelle l’esprit établit une communication continuelle et réciproque entre ces deux domaines ; entre la connaissance empirique qui, privée de théorie, réduirait la Physique à une matière informe, et la théorie mathématique qui, séparée de l’observation, détachée du témoignage des sens, ne donnerait à la science qu’une forme vide de matière ?

Mais cette méthode, pourquoi chercher à l’imaginer de toutes pièces ? N’avons-nous pas sous les yeux un étudiant qui, dans l’enfance, ignorait tout des théories physiques et qui, dans l’âge adulte, est parvenu à la pleine connaissance de toutes les hypothèses sur lesquelles reposent ces théories ? Cet étudiant, dont l’éducation s’est poursuivie durant des millénaires, c’est l’humanité. Pourquoi, dans la formation intellectuelle de chaque homme, n’imiterions-nous pas le progrès par lequel s’est formée la science humaine ? Pourquoi ne préparerions-nous pas l’entrée de chaque hypothèse dans l’enseignement par un exposé sommaire, mais fidèle, des vicissitudes qui ont précédé son entrée dans la Science ?

La méthode légitime, sûre, féconde, pour préparer un esprit à recevoir une hypothèse physique, c’est la méthode historique. Retracer les transformations par lesquelles la matière empirique s’est accrue, tandis que la forme théorique s’ébauchait ; décrire la longue collaboration par laquelle le sens commun et la logique déductive ont analysé cette matière et modelé cette forme jusqu’à ce que l’une s’adaptât exactement à l’autre, c’est le meilleur moyen, voire le seul moyen, de donner à ceux qui étudient la Physique une idée juste et une vue claire de l’organisation si complexe et si vivante de cette science.