Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
440
la structure de la théorie physique

d’unir les certitudes des constatations de sens commun aux clartés des déductions mathématiques, a été dépeint en ces termes par M. Édouard Le Roy[1]:

« Bref, nécessité et vérité sont les deux pôles extrêmes de la science. Mais ces deux pôles ne coïncident pas ; c’est le rouge et c’est le violet du spectre. Dans la continuité intercalaire, seule réalité effectivement vécue, vérité et nécessité varient en sens inverse l’une de l’autre suivant celui des deux pôles vers lequel on s’oriente et se dirige… Si l’on choisit de marcher vers le nécessaire, on tourne le dos au vrai, on travaille à éliminer tout ce qui est expérience et intuition, on tend au schématisme, au discours pur, aux jeux formels de symboles sans signification. Pour conquérir la vérité, au contraire, c’est l’autre sens de marche qu’il faut adopter ; l’image, la qualité, le concret, reprennent leurs droits prééminents ; et l’on voit alors la nécessité discursive se fondre graduellement en contingence vécue. Finalement, ce n’est point par les mêmes parties que la Science est nécessaire et que la Science est vraie, qu’elle est rigoureuse et qu’elle est objective. »

La vigueur de ces termes excède peut-être quelque peu la pensée même de l’auteur ; en tous cas, pour qu’elle exprime fidèlement la nôtre, il suffit de substituer les mots ordre et clarté aux mots rigueur et nécessité employés par M. Le Roy.

Il est très juste, alors, de déclarer que la science physique est issue de deux sources : l’une de certitude, qui est le sens commun ; l’autre de clarté, qui

  1. Édouard Le Roy : Sur quelques objections adressées à la nouvelle philosophie. (Revue de Métaphysique et de Morale, 1901, p. 319.)