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la structure de la théorie physique

ment active, formée par l’union des intelligences humaines ; de siècle en siècle, ce capital se transforme et s’accroît ; à ces transformations, à cet accroissement de richesse, la science théorique contribue pour sa très grande part ; sans cesse, elle se diffuse par l’enseignement, par la conversation, par les livres et les journaux ; elle pénètre jusqu’au fond de la connaissance vulgaire ; elle éveille son attention sur des phénomènes jusqu’alors négligés ; elle lui apprend à analyser des notions qui étaient demeurées confuses ; elle enrichit ainsi le patrimoine des vérités communes à tous les hommes ou, du moins, à tous ceux qui ont atteint un certain degré de culture intellectuelle. Qu’un maître vienne alors, désireux d’exposer une théorie physique ; il trouvera, parmi les vérités de sens commun, des propositions admirablement propres à justifier ses hypothèses ; il croira qu’il a tiré celles-ci des exigences premières et forcées de notre raison, qu’il les a déduites de véritables axiomes ; en fait, il aura simplement repris, dans le fonds des connaissances communes, pour les rendre à la science théorique, les pièces que la science théorique avait elle-même déposées dans ce trésor.

De cette grave erreur, de ce cercle vicieux, nous trouvons un exemple frappant dans l’exposé que maint auteur donne des principes de la Mécanique ; cet exposé, nous l’emprunterons à Euler ; mais ce que nous dirons des raisonnements exposés par ce grand géomètre, nous pourrions le répéter d’une foule d’écrits plus récents.

« Dans le premier chapitre, dit Euler[1], je démontre

  1. Leonhardi Euleri Mechanica sive motus scientia, analytice exposita, Petropoli, 1736 ; t. I, Præfatio.