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la structure de la théorie physique

corps qui tourne à s’éloigner du centre de sa révolution, la vis repellens qu’il suppose inverse du rayon de l’orbite.

L’idée de Borelli diffère profondément des opinions auxquelles ses prédécesseurs immédiats s’étaient arrêtés. La génération, cependant, en fut-elle spontanée ? Borelli n’a-t-il, dans ses lectures, rencontré aucun germe qui l’eût pu produire ? Aristote[1] nous rapporte qu’Empédocle expliquait le repos de la Terre par la rotation rapide du Ciel ; « ainsi arrive-t-il à l’eau contenue dans un seau que l’on fait tourner ; lors même que le fond du seau se trouve au-dessus d’elle, l’eau ne tombe pas ; la rotation l’en empêche ». Et Plutarque, en un écrit fort lu des anciens astronomes, en un écrit que Kepler a traduit et commenté, s’exprime ainsi[2] : « Pour ne pas tomber sur la Terre, la Lune trouve une aide dans son mouvement même et dans la violence de sa révolution ; de même, la chute des objets placés en une fronde est empêchée par le tournoiement en cercle ; le mouvement selon la nature (la pesanteur) entraîne toutes choses, à l’exception de celles où un autre mouvement le supprime ; donc la pesanteur ne meut pas la Lune, parce que le mouvement circulaire lui fait perdre sa puissance. » Plutarque ne pouvait plus clairement énoncer l’hypothèse que Borelli devait adopter.

Ce recours à la force centrifuge n’en est pas moins un trait de génie ; Borelli, malheureusement, ne peut

  1. Aristote : Περὶ οὐρανοῦ, Β, αγ.
  2. Plutarque : Περὶ τοῦ ἐμφαινομένου προσώπου τῷ κύκλῳ τῆς σελήνης, Ζ