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la structure de la théorie physique

grande vérité, car il admettait la coexistence de deux marées, une marée lunaire et une marée solaire ; il attribuait la première à une génération d’eau causée par le froid de la Lune, la seconde à une ébullition causée par la chaleur du Soleil.

Mais c’est aux médecins et aux astrologues du xvie siècle qu’il faut attribuer l’idée précise et féconde de décomposer la marée totale en deux marées de même nature, bien que d’inégale intensité, l’une produite par la Lune et l’autre par le Soleil, et d’expliquer les diverses vicissitudes du flux et du reflux par l’accord ou le désaccord de ces deux marées.

Cette idée est formellement énoncée[1] dès 1528 par un noble Dalmate, Frédéric Grisogone de Zara, qu’Annibal Raimondo nous présente comme un « grand médecin, philosophe et astrologue ».

Dans un ouvrage consacré aux jours critiques des maladies, il pose ce principe : « Le Soleil et la Lune tirent vers eux l’enflure de la mer, de telle sorte que, perpendiculairement au-dessous de chacun d’eux, se trouve l’enflure maximum ; il y a donc, pour chacun d’eux, deux maxima d’enflure, l’un au-dessous de l’astre, et l’autre en la partie opposée, que l’on nomme le nadir de cet astre. » Et Frédéric Grisogone circonscrit à la sphère terrestre deux ellipsoïdes de révolution, l’un dont le grand axe s’oriente vers le Soleil, l’autre dont le grand axe se dirige vers la Lune ; chacun de ces deux ellipsoïdes représente la forme que

  1. Federici Chrisogoni nobilis Jadertini De artificioso modo collegiandi, pronosticandi et curandi febres et de pronosticis ægritudinum per dies criticos necnon de humana felicitate, ac denique de fluxu et refluxu maris ; Venetiis, impr. a Joan. A. de Sabio, 1528.