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le choix des hypothèses

Tout en proclamant à maintes reprises son admiration pour Gilbert, tout en se déclarant en faveur de la philosophie aimantique, Kepler va en changer tous les principes ; il va remplacer les tendances des parties d’un astre vers le centre de cet astre par des attractions mutuelles de partie à partie ; il va proclamer que cette attraction découle d’une seule et même vertu, qu’il s’agisse de parties de la Lune ou de parties de la Terre ; il va laisser de côté toute considération relative aux causes finales qui rattachent cette vertu à la conservation de la forme de chaque astre ; il va, en un mot, frayer toutes les voies que suivra la doctrine de la gravité universelle.

Tout d’abord, Kepler dénie à tout point mathématique, aussi bien au centre de la Terre, considéré par Copernic, qu’au centre de l’Univers, considéré par Aristote, tout pouvoir attractif ou répulsif : « L’action du feu[1] consiste non à gagner la surface qui termine le Monde, mais à fuir le centre ; non pas le centre de l’Univers, mais le centre de la Terre ; et ce centre non pas en tant que point, mais en tant qu’il est au milieu d’un corps, lequel corps est très opposé à la nature du feu, qui désire se dilater ; je dirai plus, la flamme ne fuit pas, mais elle est chassée par l’air plus lourd, comme une vessie gonflée le serait par l’eau… Si l’on plaçait la Terre immobile en quelque lieu et qu’on approchât une Terre plus grande, la première deviendrait grave par rapport à la seconde et serait tirée par elle, comme la pierre est attirée par la Terre.

  1. Jo. Kepleri Littera ad Herwartum, 28 mars 1605. — Joannis Kepleri astronomi Opera omnia, édit. Ch. Frisch, t. II, p. 87.