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§ II. — Quelle est l’utilité d’une théorie physique ? — La théorie considérée comme une économie de la pensée.

Et d’abord à quoi peut servir une telle théorie ?

Touchant la nature même des choses, touchant les réalités qui se cachent sous les phénomènes dont nous faisons l’étude, une théorie conçue sur le plan qui vient d’être tracé ne nous apprend absolument rien et ne prétend rien nous apprendre. À quoi donc est-elle utile ? Quel avantage les physiciens trouvent-ils à remplacer les lois que fournit directement la méthode expérimentale par un système de propositions mathématiques qui les représentent ?

Tout d’abord, à un très grand nombre de lois qui s’offrent à nous comme indépendantes les unes des autres, dont chacune doit être apprise et retenue pour son propre compte, la théorie substitue un tout petit nombre de propositions, les hypothèses fondamentales. Les hypothèses une fois connues, une déduction mathématique de toute sûreté permet de retrouver, sans omission ni répétition, toutes les lois physiques. Une telle condensation d’une foule de lois en un petit nombre de principes est un immense soulagement pour la raison humaine qui ne pourrait, sans un pareil artifice, emmagasiner les richesses nouvelles qu’elle conquiert chaque jour.

La réduction des lois physiques en théories contribue ainsi à cette économie intellectuelle en laquelle M. E. Mach[1] voit le but, le principe directeur de la Science.

  1. E. Mach : Die ökonomlsche Natur der physikalischen Forschung (Populärwissenschaftliche Vorlesungen, 3te Auffage, Leipzig, 1903,