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le choix des hypothèses

Saxe règne encore, en plein xviie siècle, sur l’esprit de maint physicien. Elle inspire tous les raisonnements, bien étranges pour qui ne connaîtrait pas cette doctrine, par lesquels Fermat soutient sa proposition géostatique[1]. En 1636, Fermat écrit[2] à Roberval, qui conteste la légitimité de ses arguments : « La première objection consiste en ce que vous ne voulez pas accorder que le mitan d’une ligne, qui conjoint deux poids égaux descendant librement, s’aille unir au centre du Monde. En quoi certes il me semble que vous faites tort à la lumière naturelle et aux premiers principes. » Les propositions formulées par Albert de Saxe avaient fini par prendre rang au nombre des vérités évidentes de soi.

La révolution copernicaine, en ruinant le système géocentrique, renverse les bases mêmes sur lesquelles reposait cette théorie de la pesanteur.

Le corps lourd par excellence, la terre, ne tend plus à se placer au centre de l’Univers ; les physiciens doivent fonder sur des hypothèses nouvelles la théorie de la gravité ; quelles considérations vont leur suggérer ces hypothèses ? Des considérations d’analogie ; ils vont comparer la chute des graves vers la Terre au mouvement du fer vers l’aimant.

L’ordre veut qu’un corps homogène tende à conserver son intégrité ; les diverses parties de ce corps doivent donc être douées d’une telle forme substantielle qu’elles résistent à tout mouvement qui aurait pour

  1. Cf. P. Duhem : Les origines de la Statique c. xvi : La doctrine d’Albert de Saxe et les Géostaticiens. Ce chapitre paraîtra prochainement dans la Revue des Questions scientifiques.
  2. Fermat : Œuvres, publiées par les soins de MM. Paul Tannery et Ch. Henry, t. II, Correspondance., p. 31.