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la structure de la théorie physique

l’adversaire. De ces querelles, l’histoire de la Physique nous fournirait d’innombrables exemples, à toutes les époques, dans tous les domaines. Bornons-nous à rappeler la ténacité et l’ingéniosité avec lesquelles Biot, par un continuel apport de corrections et d’hypothèses accessoires, maintenait en Optique la doctrine émissioniste, tandis que Fresnel opposait sans cesse à cette doctrine de nouvelles expériences favorables à la théorie ondulatoire.

Toutefois, cet état d’indécision n’a jamais qu’un temps. Un jour vient où le bon sens se déclare si clairement en faveur d’un des deux partis que l’autre parti renonce à la lutte, alors même que la pure logique n’en interdirait pas la continuation. Après que l’expérience de Foucault eut montré que la lumière se propageait plus vite dans l’air que dans l’eau, Biot renonça à soutenir l’hypothèse de l’émission ; en toute rigueur, la pure logique ne l’eût point contraint à cet abandon, car l’expérience de Foucault n’était point l’experimentum crucis qu’Arago y croyait reconnaître ; mais en résistant plus longtemps à l’Optique vibratoire, Biot aurait manqué de bon sens.

Puisque le moment où une hypothèse insuffisante doit céder la place à une supposition plus féconde n’est pas marqué avec une rigoureuse précision par la logique, puisqu’il appartient au bon sens de reconnaître ce moment, les physiciens peuvent hâter ce jugement et accroître la rapidité du progrès scientifique en s’efforçant de rendre en eux-mêmes le bon sens plus lucide et plus vigilant. Or, rien ne contribue davantage à entraver le bon sens, à en troubler la clairvoyance, que les passions et les intérêts. Rien