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la structure de la théorie physique

insensé pour contredire à ses propres définitions ; il ne ferait rien d’absurde. Il y a plus ; un jour peut-être, en agissant autrement, en refusant d’invoquer des causes d’erreur et de recourir à des corrections pour rétablir l’accord entre le schéma théorique et le fait, en portant résolument la réforme parmi les propositions qu’un commun accord déclarait intangibles, il accomplira l’œuvre de génie qui ouvre à la théorie une carrière nouvelle.

En effet, ces hypothèses, qui sont devenues des conventions universellement acceptées, dont la certitude semble briser la contradiction expérimentale et la rejeter sur d’autres suppositions plus douteuses, il faudrait bien se garder de les croire à tout jamais assurées. L’histoire de la Physique nous montre que, bien souvent, l’esprit humain a été amené à renverser de fond en comble de tels principes, regardés d’un commun accord, pendant des siècles, comme des axiomes inviolables, et à rebâtir ses théories physiques sur de nouvelles hypothèses.

Fut-il, par exemple, pendant des millénaires, principe plus clair et plus assuré que celui-ci : Dans un milieu homogène, la lumière se propage en ligne droite ? Non seulement cette hypothèse portait toute l’Optique ancienne, Catoptrique et Dioptrique, dont les élégantes déductions géométriques représentaient à souhait un nombre immense de faits, mais encore elle était devenue, pour ainsi dire, la définition physique de la ligne droite ; c’est à cette hypothèse que devait faire appel tout homme désireux de réaliser une droite, le charpentier qui vérifie la rectitude d’une pièce de bois, l’arpenteur qui jalonne un ali-