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la théorie physique et l'expérience

cherons à dissiper l’apparence paradoxale, nous en placerons une qui, en ces dernières années, a été souvent formulée et commentée. Énoncée d’abord par M. G. Milhaud[1] au sujet du corps pur de la Chimie, elle a été longuement et fortement développée par M. H. Poincaré[2] à propos de principes de la Mécanique ; M. Édouard Le Roy l’a également formulée[3] avec une grande netteté.

Cette affirmation est la suivante :

Certaines hypothèses fondamentales de la théorie physique ne sauraient être contredites par aucune expérience, parce qu’elles constituent en réalité des définitions, et que certaines expressions, usitées du physicien, ne prennent leur sens que par elles.

Prenons un des exemples cités par M. Ed. Le Roy : Lorsqu’un corps grave tombe librement, l’accélération de sa chute est constante. Une telle loi peut-elle être contredite par l’expérience ? Non, car elle constitue la définition même de ce qu’il faut entendre par chute libre. Si, en étudiant la chute d’un corps grave, nous trouvions que ce corps ne tombe pas d’un mouvement uniformément accéléré, nous en conclurions non pas que la loi énoncée est fausse, mais que le corps ne tombe pas librement, que quelque cause en entrave le mouvement, et les écarts entre la loi énoncée

  1. G. Milhaud : La Science rationnelle (Revue de Métaphysique et de Morale, 4e année, 1896, p. 280). — Le Rationnel, Paris, 1898, p. 45.
  2. H. Poincaré : Sur les Principes de la Mécanique (Bibliothèque du Congrès international de Philosophie. iii. Logique et Histoire des Sciences. Paris, 1901 ; p. 457). — Sur la valeur objective des théories physiques (Revue de Métaphysique et de Morale, 10e année, 1902, p. 263). — La Science et l’Hypothèse, p. 110.
  3. Édouard Le Roy : Un positivisme nouveau (Revue de Métaphysique et de Morale, 9e année, 1901, p. 143-144).