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la structuture de la physique

présentant les hypothèses sur lesquelles reposent ces théories, il est nécessaire qu’il en prépare l’acceptation ; il est bon qu’il signale les données du sens commun, les faits recueillis par l’observation vulgaire, les expériences simples ou encore peu analysées qui ont conduit à formuler ces hypothèses ; sur ce point, d’ailleurs, nous reviendrons avec insistance au prochain Chapitre ; mais il doit proclamer bien haut que ces faits, suffisants pour suggérer les hypothèses, ne le sont pas pour les vérifier ; c’est seulement après qu’il aura constitué un corps étendu de doctrine, après qu’il aura construit une théorie complète, qu’il pourra comparer à l’expérience les conséquences de cette théorie.

L’enseignement doit faire saisir à l’élève cette vérité capitale : Les vérifications expérimentales ne sont pas la base de la théorie ; elles en sont le couronnement ; la Physique ne progresse pas comme la Géométrie ; celle-ci grandit par le continuel apport d’un nouveau théorème, démontré une fois pour toutes, qui s’ajoute à des théorèmes déjà démontrés ; celle-là est un tableau symbolique auquel de continuelles retouches donnent de plus en plus d’étendue et d’unité ; dont l’ensemble donne une image de plus en plus ressemblante de l’ensemble des faits d’expérience, tandis que chaque détail de cette image, découpé et isolé du tout, perd toute signification et ne représente plus rien.

À l’élève qui n’aura pas aperçu cette vérité, la Physique apparaîtra comme un monstrueux fatras de pétitions de principes et de cercles vicieux ; si son esprit est doué d’une grande justesse, il repoussera avec horreur ces perpétuels défis à la logique ; si la