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la structure de la théorie physique

Parfois, l’expérience fictive décrite par le physicien ne saurait, si l’on tentait de la réaliser, donner aucun résultat de quelque précision ; les effets, fort indécis et grossiers, qu’elle produirait pourraient, sans doute, être mis d’accord avec la proposition que l’on prétend justifier ; mais ils s’accorderaient tout aussi bien avec certaines propositions fort différentes ; la valeur démonstrative d’une telle expérience serait donc bien faible et sujette à caution. L’expérience qu’Ampère a imaginée pour prouver que les actions électrodynamiques procèdent selon l’inverse du carré de la distance, et qu’il n’a point réalisée, nous donne un frappant exemple d’une telle expérience fictive.

Mais il y a pis. Bien souvent, l’expérience fictive que l’on invoque est non seulement irréalisée, mais irréalisable ; elle suppose l’existence de corps que l’on ne rencontre pas dans la nature, de propriétés physiques qui n’ont jamais été observées ; ainsi Gustave Robin[1], pour donner des principes de la Mécanique chimique l’exposé purement inductif qu’il souhaite, crée de toutes pièces, sous le nonm de corps témoins, des corps qui, par leur seule présence, soient capables de mettre en branle ou d’arrêter une réaction chimique ; jamais l’observation n’a révélé aux chimistes de semblables corps.

L’expérience irréalisée, l’expérience qui ne serait point réalisable avec précision, l’expérience absolument irréalisable, n’épuisent pas les formes diverses prises par l’expérience fictive dans les écrits des physi-

  1. Gustave Robin : Œuvres scientifiques. Thermodynamique générale, p. II. Paris, 1901.